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eut ainsi, indirectement, une part morale à sa fondation, et ce n’est pas aujourd’hui, pour ceux dont elle a rempli la vie, le moindre des liens qui les attachent à sa mémoire.

Mais sa réserve naturelle et celle de ses fonctions ne lui permettaient pas d’aller au-delà. Il fut, à cet égard, comme on dit aujourd’hui, d’une irréprochable correction.

Les charges, d’ailleurs, au lendemain de la Commune, ne manquaient pas à son activité et, par suite, à la nôtre. Nommé gouverneur de Paris, dès les premiers jours qui suivirent l’occupation de la ville, il porta son quartier général à l’Elysée, dont il fut ainsi, après l’Empire, le premier habitant, puis au Louvre, où il s’établit définitivement dans les anciens appartemens du général Fleury, qui donnaient, à la fois sur le quai, sur le Carrousel, et, à l’intérieur, sur la cour Caulaincourt. J’ignore si cette partie du palais a encore des hôtes, et quels ils sont : je n’y suis pas rentré. Je ne le désire point : j’aime mieux revoir toujours tel qu’il était alors, gardant, avec le mélange du luxe passé et de la simplicité présente, son aspect un peu improvisé, le cadre des souvenirs aimés, où m’apparaît tour à tour, dans la charmante intimité de la vie familiale et dans la régulière exactitude du labeur journalier, la figure douce et modeste, calme et réfléchie, de notre vieux général.

Quand il en prit le gouvernement, Paris était en état de siège : tous les pouvoirs furent entre ses mains. Je ne pense pas, d’ailleurs, qu’aucune autorité civile ait fait régner, sur les citoyens, une plus douce dictature. La principale manifestation de ce régime du sabre consistait en une promenade presque quotidienne que le général aimait à faire dans les quartiers du centre, accompagné de son état-major, pour donner à l’ordre rétabli la consécration de sa présence. La population accueillait ces visites avec une satisfaction universelle, et nul ne songeait, certes, à y voir une abusive démonstration. Les cuirassiers de l’escorte et les officiers d’ordonnance, seuls, je crois bien, s’en plaignaient tout bas : le commerce renaissant, la vie renouvelée encombraient les rues de camions et de voitures : le pavé glissait affreusement, et, tandis que le général, sur son gros cheval alezan, tenait le milieu de la chaussée, il arrivait souvent qu’un des cavaliers, obligé de prendre le côté de la rue, sentait son cheval s’abattre et s’effondrer sous lui. Ce fut la plus grande misère de l’état de siège, et elle n’atteignit que nous-mêmes.