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Le général recevait peu et seulement autant qu’il convenait à sa position. Hors de là, c’était, au Louvre, un cercle de parens et d’amis. Mme de Ladmirault l’animait de sa vive et brillante nature ; ses deux filles l’ornaient des grâces de l’enfance et de la jeunesse, l’une bientôt, hélas ! moissonnée dans la fleur de son âge et de sa beauté[1], l’autre, en qui le général semblait revivre, et dont le charme et la bonté exerçaient autour d’elle une aimable et bienfaisante influence[2].

Heureux temps, où, sous la paternelle autorité du vieux soldat, qui s’acheminait ainsi, dans la paix d’une belle conscience, vers le terme de sa route, nous donnions à la grande œuvre, de plus en plus maîtresse de notre vie, tout ce que nous laissait de loisirs et de forces le souci du métier, auquel je pensais encore demeurer, comme les autres, longtemps attaché !

Cependant la parole et l’activité publique m’avaient saisi, presque à mon insu. Le rétablissement progressif de l’ordre normal, rompu par les événemens de 1871, rendait désormais impossible ma double carrière. Il fallut opter. Le général le comprit comme moi, et me permit de quitter à la fois son service et l’armée, avec des paroles de regret et d’encouragement, qui furent, à cette heure décisive, ma force et mon honneur.

Quatre ans plus tard, alors jeté dans le feu des luttes parlementaires, il me fut donné, à Montmorillon, devant un auditoire populaire, d’élever la voix pour la cause de Dieu, sous la présidence de mon général que l’inexorable limite d’âge venait de ramener à son foyer, tandis que la respectueuse confiance de ses concitoyens marquait sa place au Sénat. Ce jour-là, une fierté de soldat fit battre mon cœur d’une émotion attendrie, qui s’accrut encore le soir, lorsqu’il m’accueillit, au milieu des siens, dans sa patriarcale demeure de la Fouchardière, où il nous sembla, un moment, retrouver le Louvre d’autrefois.

Depuis, emporté par le torrent de la vie, je ne revis plus qu’à de rares intervalles mon chef vénéré.

Puisse aujourd’hui l’hommage que j’ai voulu lui rendre, par ces quelques pages, acquitter, en quelque manière, envers sa mémoire, ma dette de reconnaissance !


A. DE MUN.

  1. Madame la vicomtesse de Fontenay.
  2. Madame la comtesse de La Rochebrochard.