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« parce que, de toutes les opérations humaines, la raison doit être le principe et la source, et que celui qui ne l’aura pas ménagée laissera toujours croire qu’il a travaillé en vain[1]. » Ainsi les Italiens, qui devaient être un jour les plus sensibles ou les plus sensuels des musiciens, en furent d’abord les plus rationnels ou les plus raisonnables, et l’éloge décerné, deux cents ans plus tard, par un Stendhal à je ne sais quelle partition de Rossini, (l’ltalienne à Alger, je crois), — « c’est la musique la plus sensuelle que je connaisse », — eût été pris par les ancêtres du maître de Pesaro pour un reproche, et même pour une condamnation.

Sans doute ils avaient raison, les Péri et les Caccini, de réserver les droits de l’esprit et de les maintenir. Mais leur erreur et leur faute contre la musique furent de les chercher, ces droits, et de prétendre les établir dans la poésie ou la parole seulement. Ils méconnaissaient ainsi la spiritualité spécifique de leur art, je veux dire tout ce qu’il y a d’intelligence, de logique, de raison et presque de raisonnement dans la musique pure : soit dans la polyphonie vocale des siècles précédens, qu’ils ne voulaient plus comprendre ; soit dans la symphonie instrumentale, que, plus naturellement, ils ne pouvaient prévoir, des siècles à venir. Par amour de la musique, c’est la musique qu’ils outrageaient. Ils la ravalaient en croyant l’élever. Ils lui faisaient le tort et presque l’injure de chercher à côté d’elle, pour la lui conférer du dehors, une noblesse, une grandeur, quelle possède elle-même, en elle-même, et qu’elle n’a pas besoin d’emprunter.

Le verbe seul parut alors capable de l’en investir. Et voilà le dernier caractère, — je veux dire le plus essentiel, — en même temps que le plus antique, de la Renaissance musicale. C’est au nom du verbe, qu’elle embarrassait, quand elle n’allait pas jusqu’à l’étouffer, que fut alors désavouée et maudite l’ancienne polyphonie vocale, et, comme dit avec dédain, presque avec dégoût Jean-Baptiste Doni, « toute cette manière de moduler qu’ils appellent symphoniastique, Iota hæc modulandi ratio, quam symphoniasticam vocant. » La réaction fut non seulement sans pitié, mais sans justice. On renia de grands maîtres ; on désavoua des chefs-d’œuvre immortels. On eût brûlé volontiers ce qu’on pouvait, sans contradiction, continuer d’adorer. Il n’est pas jusqu’à

  1. « … Poichè di tutte le operazioni uniane la ragione debbe esser principio e fonte, e chi non puo renderla agevolmente da a credere d’aver operato a caso. » (Peri, préface d’Euridice. )