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Millerand ignoraient profondément l’esprit ouvrier. Sous les auspices de M. Guesde, dont ils étaient alors les amis, ils commirent au Congrès international de Londres, en 1896, la faute énorme de s’aliéner les syndicats. Pour eux, le titre de député socialiste primait tout. Il suffisait de cette simple qualité pour ouvrir, à quiconque en était nanti, les portes d’un congrès. M. Jaurès, M. Millerand et leurs alliés d’alors, prétendaient exclure du congrès les syndicaux, sous prétexte que des anarchistes s’étaient glissés parmi eux. Nous assistâmes à une scène inoubliable : l’un des hommes qui ont le plus fait en France pour la classe ouvrière, et dont la vie a été un dévouement de tous les jours à sa corporation, M. Keüfer, l’organisateur de la Fédération du Livre, aujourd’hui vice-président du Conseil supérieur du travail, était publiquement répudié et menacé par des politiciens socialistes, élevés dans les berceaux douillets de la bourgeoisie, et dont le dévouement récent aux travailleurs ne s’était traduit que par des discours.

Depuis, M. Jaurès, M. Millerand ont reconnu leur erreur. M. Jaurès s’est tourné vers les syndicats, vers les coopératives, il n’a cessé de leur prodiguer les louanges, les encouragemens, de leur consacrer son temps et sa peine ; son effort est de les attirer dans le parti socialiste. Soucieux d’écarter de lui-même tout soupçon de modérantisme, il a décoré son socialisme ministériel d’une phraséologie incendiait. Il se défend énergiquement d’être un pur politicien, de méconnaître le rôle historique de la Force, accoucheuse des sociétés. Pour paraître encore meilleur révolutionnaire que M. Guesde, tout en demeurant le ministériel le plus fervent, il arbore le drapeau de la grève générale, signe de ralliement des syndicats, voire des anarchistes si actifs dans les milieux syndicaux, alors que le Congrès international de 1900, dont M. Jaurès invoquait les décisions avec tant d’ardeur, a repoussé la grève générale comme une périlleuse utopie, dans l’état d’organisation encore si imparfaite des classes ouvrières.

Toutes ces avances sont restées sans écho. Les syndicats ouvriers et leurs représentais les plus consciens et les plus militans tendent à s’affranchir de plus en plus de la tutelle des politiciens socialistes, des socialistes bourgeois. Sans doute ils applaudiront M. Jaurès dans les réunions publiques, ils feront un bon accueil à M. Millerand et à ses décrets, mais, s’ils acceptent