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statistiques n’en comptent pas seulement, à l’heure qu’il est, cent cinquante mille. Mais lequel est encore le plus Américain, d’un Irlandais né à Cork ou à Tipperary et fixé depuis vingt-cinq ans à Boston, je suppose, ou d’un native born, — c’est le nom que l’on donne à l’Américain indigène, — né à Chicago d’un père Polonais et d’une mère Allemande ? On sait encore que, s’il n’y a point de « race américaine, » il n’y a pas non plus de « langue américaine ; » et peut-on dire seulement qu’il y ait une « histoire américaine ? » Il y a « une histoire d’Amérique ; » il n’y a point d’histoire américaine, s’il n’y a point, à proprement parler, de tradition ni même de civilisation « américaine. » Existe-t-il seulement une « littérature américaine ? » Quelques Américains le prétendent ; mais les Anglais n’y veulent voir qu’un prolongement de la littérature anglaise. Comment peut-on donc, en ces conditions, parler de « l’âme américaine ? » et, quand il est déjà si difficile à un Français de définir « l’âme française, » ou à un Italien « l’âme italienne, » comment un étranger se flatterait-il de ramener à quelques caractères essentiels ce qu’il est sans doute permis d’appeler la bigarrure du phénomène américain ? Ces difficultés n’ont point arrêté M. Edmond de Nevers ; et, — disons-le tout de suite, — non seulement son audace ne lui a point porté malheur, mais au contraire son livre est l’un des plus intéressans qu’on ait publiés depuis longtemps sur l’Amérique ; et il le doit précisément à ce qu’il y a de plus téméraire dans le dessein de son auteur.

L’origine en est toute politique. M. Edmond de Nevers, Canadien français, très fier de l’être, et très résolu à le demeurer, s’est un jour demandé quelle politique les Canadiens français, qui ne sont pas moins de 2 ou 3 millions, — dont 1 200 000 ou 1 400 000 dans la province de Québec, — devaient observer à l’égard de leur puissant voisin. « Est-il de notre intérêt politique de contribuer à l’unification de tout le continent nord-américain ; et nous sera-t-il possible, sous le drapeau étoile, de grandir et de nous développer sans rien abdiquer, sans rien abandonner de ce qui nous est cher, en restant fidèles à nos traditions françaises et catholiques ? » Telle est, aux yeux de M. de Nevers, coin me aux yeux de quelques-uns des ministres actuels du Dominion, M. Tarte, par exemple, la question destinée, « dans un avenir plus ou moins éloigné, à prendre la première place dans les préoccupations des Canadiens français ; » et qui ne voit, en