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canadienne française. Le Rhode-Island n’est pas grand, mais enfin il fait partie de ce qu’on appelle encore en Amérique la Nouvelle-Angleterre : M. Edmond de Nevers nous affirme qu’au cours d’un séjour de trois ans qu’il y a fait, c’est à peine s’il a eu l’occasion d’y parler cinq ou six fois anglais. C’est encore un effet de la même cause : les Français ou, si l’on veut, les Américains d’origine française, sont assez nombreux en Louisiane ; et, pareillement, les Américains d’origine espagnole en Floride ou en Californie. Dans quelle mesure ces mélanges de sang ou ces antagonismes de race ont-ils modifié le sang anglo-saxon ? L’ont-ils dénaturé, et l’ont-ils appauvri ou enrichi de qualités qui n’étaient point les siennes ? C’est à cette question que M. de Nevers a cru qu’il fallait principalement répondre pour définir « l’âme américaine, » et, en effet, c’est sur ce point qu’il a fait porter son principal effort. C’est donc par-là qu’il faut prendre son livre, si l’on veut le comprendre ; et, ainsi que nous le disions, c’est ce qui en fait la signification et la portée.

Car, je ne l’apprendrai pas sans doute à nos lecteurs, il n’y a guère aujourd’hui de problème plus obscur, ni plus passionnant, ni peut-être plus inquiétant, que celui de savoir ce que c’est qu’une « race. » Qu’est-ce à vrai dire qu’un peuple, et qu’est-ce qu’une nation ? Nous éprouvons déjà quelque embarras à le bien définir. On répondait autrefois avec Taine : « A tout âge, un peuple resté toujours lui-même… Les cinq ou six grands instincts qu’il avait dans ses forêts le suivent dans ses palais et dans ses bureaux. » Nous dirions volontiers aujourd’hui qu’il n’y a rien de moins assuré. Mais, quand nous continuerions de partager l’opinion de Taine, encore faudrait-il examiner où commence et où finit la race. C’est ainsi qu’en histoire naturelle il ne s’agit que de savoir où commence et où finit l’espèce. On n’a pu réussir jusqu’à présent à blanchir un nègre, — ou du moins il y faut du temps, beaucoup de temps, huit ou dix générations, — mais on ne voit rien d’impossible, ni même de très difficile à angliciser, par exemple, un Allemand, ou, si je l’ose dire, à italianiser un Français. Les Romains ont bien latinisé la Gaule ! La volonté de l’homme, je le sais, rencontre promptement ses limites, et même, pour les rencontrer, elle n’a pas besoin de se rien proposer de très extraordinaire : nous est-il cependant impossible, en de certaines conditions, qui seraient d’ailleurs à préciser, de nous approprier une civilisation ou une forme d’esprit qui ne nous étaient pas