Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des seuls États du Palatinat, du grand-duché de Bade et du Wurtemberg. » Ce chiffre annuel aurait été dépassé en 1770 et en 1771. Enfin, de 1772 à 1776, vingt à vingt-quatre navires chargés de passagers allemands « seraient arrivés chaque année dans le port de Philadelphie. » Qu’est-ce à dire, sinon, qu’à la veille de la guerre de l’indépendance, la Pensylvanie était plus d’à moitié germaine ? Et ainsi, dans les deux États qui étaient alors le centre géographique de l’union prochaine ; qui en sont aujourd’hui les plus peuplés, les plus industrieux, les plus riches ; et que ni l’Ohio, ni l’Illinois, avec Chicago, n’ont encore dépossédés de leur suprématie, l’élément anglo-saxon était déjà contrebalancé par des élémens diversement étrangers, et dont quelques-uns, le celtique et le latin par exemple, ni ne devaient être assimilés tout de suite, ni ne le seront peut-être jamais.

L’élément anglo-saxon reprenait la prépondérance, avec la supériorité numérique, dans le Maryland, en Virginie, et généralement dans les trois autres États, — Caroline du Nord, Caroline du Sud et Géorgie, — qui prolongeaient le domaine anglais jusqu’aux frontières de la Louisiane, alors française. On ne peut, à ce propos, s’empêcher de faire une remarque. Si la Louisiane, à cette époque, était encore française, il n’y avait pas plus de douze ans que le Canada avait cessé de l’être (en 1763) et, du Lac supérieur jusqu’aux embouchures du Mississipi, dans le golfe du Mexique, des établissemens français s’échelonnaient tout le long de l’énorme fleuve. La colonisation anglo-saxonne était donc comme enveloppée de toutes parts et bornée par une influence française ; elle ne respirait librement que du côté de la mer ; et, si l’historien de la littérature ne saurait l’oublier, — puisque c’est là, dans cette région, que le chevalier des Grieux enterra Manon Lescaut, et que René reçut la confidence des amours de Chactas et d’Atala, — on admettra difficilement que cette influence n’ait pas laissé d’autres traces, moins poétiques, plus profondes peut-être, et plus ou moins faciles d’ailleurs à définir ou à démêler, mais certaines. Saint-Paul au Minnesota, La Crosse, Dubuque, Saint-Louis, Bâton-Rouge, etc., sont des noms français. La Nouvelle-Orléans est une ville à demi française, et il n’y a pas encore trois ans que la législature de la Louisiane a décidé que les actes de l’autorité publique ne seraient plus désormais publiés qu’en anglais : ils l’avaient été, jusqu’en 1898, en anglais et en français. Je dois à la vérité de convenir que la