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dépenses de luxe, et en mettant hors de la portée des mortels ordinaires le moyen de se distinguer, a imposé cette uniformité. S’il y a quelques villes, de celles que j’ai vues, qui aient vraiment leur individualité, ce sont des villes aristocratiques : Boston ou Baltimore. On en dit aillant de la Nouvelle-Orléans. De telle sorte que, si ce ne sont pas les Irlandais qui ont donné à la vie américaine ce caractère d’uniformité, c’est en tout cas et assurément l’esprit démocratique. Nous n’avons aussi bien qu’à voir, pour nous en rendre compte, ce qu’il est en train de faire de Paris. Nos nouveaux boulevards sont des boulevards américains. Et, quand on songe là-dessus à ce que l’on nous a dit si souvent de la maison ou du cottage anglais, si représentatifs de la fantaisie de leur propriétaire ou de leur habitant, — ce qui d’ailleurs n’est point du tout vrai de Londres, — il apparaît que cette uniformité de vie, irlandaise ou non dans sa cause, est ce qu’il y a de plus contraire à l’esprit anglo-saxon, et c’est justement où j’en voulais venir.

« Quelle est encore l’origine de la réclame effrénée que les États-Unis ont mise à la mode vers 1820, » se demande M. Edmond de Ne vers ? et, après avoir constaté que « ni le puritain pieux et austère, ni l’aristocrate du Sud, n’en auraient eu l’idée, » il ajoute : « C’est en Pensylvanie, où les Irlandais dominaient, que furent signalées d’abord ces tendances à l’exagération, ces procédés outranciers qui sont devenus l’un des traits caractéristiques du peuple américain. » Et en effet la réclame américaine, l’annonce même, ont quelque chose de provocant en même temps que d’inattendu, — ou de provocant parce qu’inattendu, — dont l’humour diffère autant de l’humour anglo-saxon que la riche et plaisante imagination d’Addison diffère de l’amertume outrancière et caricaturale de Jonathan Swift. On sait que Swift était plus ou moins Irlandais. D’une manière plus générale, et, sans appuyer plus qu’il ne faut sur des rapprochemens de ce genre, si l’Américain est aussi expansif que l’Anglo-Saxon est concentré ; si l’exubérance et l’exagération qui lui sont devenues familières sont le contraire même de cette froideur et de cette réserve qui caractérisent l’Anglais ; si la grandiloquence dont il s’amuse autant qu’il s’en grise n’a de commun avec la sécheresse coupante du discours anglais que l’usage de la même langue, d’où viennent toutes ces transformations ? M. Edmond de Nevers cite à ce propos un compte rendu bien amusant de la présentation du