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candidat Bryan, en 1896, à la Convention démocratique de Chicago : « Jamais avant cet instant, écrivait le journaliste, une forme aussi radieuse, un port si noble et si viril, une telle démarche, pleine d’une majesté divine, n’avaient hypnotisé leurs regards. Possédant des traits d’une beauté parfaite, une admirable stature, portant, imprimées par le Créateur, sur la figure la plus majestueusement sereine et sérieuse que j’aie jamais vue, la force du caractère et l’honnêteté des aspirations ; ayant avec cela une tête et des épaules comme un Dieu, cet homme de la destinée, ce libérateur du peuple a entraîné la vaste multitude par son éloquence, et l’a ravie par sa beauté sans égale. Il est le plus grand et le plus remarquable être humain que nous ayons jamais vu. » Je ne sache rien de moins anglais que cet hyperbolique éloge. Et, je ne veux pas dire qu’en revanche il n’y ait rien de plus Irlandais : je n’ai pas pour cela de l’« âme irlandaise » une connaissance assez précise ; et, quand je croirais l’avoir, je me garderais encore d’une conclusion trop formelle. Je sais aussi que le développement des sports a ressuscité en Angleterre une admiration un peu étrange de la beauté virile. Mais je puis du moins retenir deux points : le premier, c’est qu’il ne semble pas qu’avant l’afflux de l’immigration irlandaise, de semblables procédés de « réclame » fussent en usage parmi les Américains ; et le second, c’est qu’on ne peut soupçonner ni la vanité française, ni l’orgueil espagnol de les avoir acclimatés dans le Kentucky. De même que l’apport irlandais a modifié la structure de la société politique, il semble donc qu’il aurait également modifié la mentalité des Américains ; et il se pourrait, ajoute M. de Nevers, qu’il en eût enfin modifié la « religiosité. »

Nous l’avons dit jadis ici même : New York est, avec Paris et Vienne, la plus grande ville catholique du monde ; et, de 75 ou 80 millions d’Américains, il y en a 10 ou 12 millions de catholiques, soit un huitième ou un peu davantage, dont le plus grand nombre est d’origine irlandaise. A ceux qui, comme nous, trouvent considérable cette proportion de catholiques dans une république autrefois fondée par et sur l’intolérance puritaine, on répond, il est vrai, qu’elle devrait être bien plus considérable encore ; que ce n’est pas 10 ou 12, mais 30 millions que les catholiques américains devraient être ; et qu’enfin, s’ils sont bien éloignés de ce chiffre, la faute en est au zèle « anglicisateur » du clergé catholique irlandais. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner la question.