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comme révolutionnaire au sein de la société chinoise, depuis surtout qu’à la fin du siècle dernier, sur l’avis des Dominicains et contre celui des Jésuites, le Saint-Siège, imité aujourd’hui par les Églises protestantes, a proscrit toute transaction avec le culte des ancêtres, pierre angulaire de l’édifice moral et social de l’Extrême-Orient. Ceci aurait dû engager les missions à la plus grande prudence, les porter à ne pas heurter, sur d’autres points encore, les sentimens, les traditions et les superstitions des Chinois. Elles ne paraissent pas l’avoir toujours compris : elles ont en outre cédé parfois à la tentation de s’immiscer dans les querelles entre les convertis et leurs voisins ou les autorités locales, ce qui les fait accuser par ces dernières de vouloir constituer un État dans l’État. Il faut savoir reconnaître ces fautes, dans lesquelles les missions protestantes sont d’ailleurs tombées beaucoup plus souvent que les missions catholiques : ce sont des Anglais eux-mêmes, et non des moindres, M. G. Curzon (aujourd’hui lord Curzon de Keddelstone, vice-roi des Indes), M. Henry Norman, qui l’avouent sans détours. Mais voir dans les missions la cause dominante de la crise actuelle, c’est donner une explication bien simpliste et que les faits récens eux-mêmes sont très loin de corroborer.

Jusqu’à la guerre sino-japonaise, les missionnaires étaient les seuls Occidentaux qui résidassent d’une façon quelque peu prolongée dans l’intérieur de la Chine, loin des ports ouverts, en contact réel et intime avec le peuple ; en dehors d’eux, ce peuple ne voyait d’autres blancs que de rares voyageurs qui ne faisaient que passer. Depuis que le monde s’est rué à la curée du Céleste-Empire, depuis que les nations de l’Europe ont voulu exercer une action politique, plus ou moins déguisée, en diverses portions du pays, d’autres Européens, des ingénieurs, des contremaîtres, des mécaniciens, voire des soldats pour les protéger, sont venus séjourner en pleine Chine. Il y a cinq ans seulement que ces nouvelles couches d’Occidentaux ont été mises en contact avec les masses chinoises, et la haine de l’étranger s’est trouvée, après ces cinq ans, portée à un paroxysme que des siècles de propagande religieuse n’avaient pu lui faire atteindre. Si réelles qu’aient pu être les fautes commises par les missionnaires, qui n’ont rien changé depuis 1895 à leur manière de faire, il faut donc que celles des nouveaux venus laïques aient été autrement graves et les seconds seraient mal venus à faire le procès des premiers.