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Si les Chinois en sont arrivés à l’exaspération, c’est que les nations européennes, gouvernemens et particuliers, ont accumulé les fautes durant ces cinq années. On a vivement froissé le peuple en entamant partout à la fois, sans ménagement pour ses préjugés, ni même pour ses sentimens les plus respectables, des travaux de chemins de fer ou de recherches de mines. Alors que peu d’argent, bien dépensé, aurait pu apaiser les superstitions géomantiques des Chinois, et même leur respect pour les morts, en nous conciliant quelques prêtres et sorciers, on permettant de déplacer les tombes avec respect et conformément aux rites, la troupe d’ingénieurs et de contremaîtres prépotens, venue d’Europe, préféra construire ses gares et poser ses rails sans daigner même s’inquiéter de ces détails, de ces préjugés qui lui semblaient grotesques. On ne paraissait pas se douter qu’en troublant le repos des morts, on troublait aussi celui des vivans. Au début, on s’était cependant montré plus réfléchi : au sortir de Tien-Tsin, les ingénieurs anglais avaient fait décrire à la voie une grande courbe pour contourner un cimetière. Mais, depuis 1897 ou 1898, on se croyait tout permis avec les Chinois.

Si du moins ces travaux et les froissemens qui en résultaient s’étaient concentrés en une région peu étendue, les troubles seraient peut-être, eux aussi, restés localisés ; mais il n’en était pas ainsi : les Allemands dans le Chan-toung, les étrangers de toute nation dans le Tchili, les Russes en Mandchourie, les agens du Peking syndicate anglo-italien dans le Chan-si, les Anglais sur le bas Yang-tse et dans le Kouang-toung, les Français et les Belges sur la ligne de Pékin à Han-kéou, les Français seuls dans le Yunnan et le Kouang-si rivalisaient d’ardeur et souvent d’imprudence.

La province où le mouvement des Boxeurs a d’abord pris naissance, le Chan-toung, nous montre quels ont été, parmi les Européens, les plus violens et les plus maladroits. Les Allemands, par la raideur formaliste et brutale qu’ils mettent dans leurs rapports avec leurs inférieurs ou ceux qu’ils croient tels, ont été les premiers à exaspérer les Chinois ; dès l’année dernière on signalait des conflits répétés et quelquefois sanglans entre les indigènes et le personnel chargé des études et de la construction des chemins de fer du Chan-toung, ou les soldats qui protégeaient les travaux. Mais il ne faudrait pas croire que les autres Occidentaux fussent à l’abri de tout reproche. Les