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ne gouvernent pas ; » qui ne prescrivent même qu’en gros la destination ou l’emploi des dollars qu’ils donnent à mains pleines ; qui s’en remettent aux gens compétens du soin d’en faire la plus fructueuse application ; et qui continuent assurément de s’intéresser à leur œuvre de très près, mais en hommes d’affaires, pour que cette œuvre elle-même continue de profiter de l’accroissement de leur fortune et de leur autorité ? Cela ne vaut-il pas bien qu’on leur passe quelques-uns des « ridicules » ou des « défauts » qui sont ceux de tous les parvenus ? Et d’autant qu’à vrai dire, parmi ceux qui les leur reprochent le plus aigrement, ces ridicules ou ces défauts, on rencontre peu de descendans des Plantagenets ou des Montmorency.

Si maintenant, à ce propos, je voulais suivre M. de Nevers dans les considérations qu’il développe sur les rapports futurs du millionnaire et de l’ouvrier, ou du capital et du travail dans l’Amérique de l’avenir, je m’aventurerais fort imprudemment sur un terrain qui n’est pas le mien. Je me bornerai donc à dire très brièvement que, si la solution de la « question sociale » n’est pas beaucoup plus avancée aux États-Unis qu’en Europe, il semble cependant qu’elle ne s’y pose pas tout à fait de la même manière, et que l’on ne voit pas ce que la lutte des classes y pourrait signifier. « Il n’est pas probable, dit à ce propos M. de Nevers, que l’antagonisme entre le capital et le travail se développe en Amérique à l’état de crise aigüe, car, jusqu’à présent, le capital et le travail y ont été d’excellens alliés, et le premier n’y peut guère être considéré comme le tyran du second. » Que le bon Dieu l’entende et lui donne raison ! Il me suffit d’avoir noté le fait, et aussi bien, si j’insistais, ne tomberais-je pas à mon tour dans le défaut que j’ai reproché à l’auteur de l’Ame américaine, quand je regrettais qu’il n’eût pas mis en lumière l’idée principale de son livre ? J’aurais dû plutôt dire qu’on a quelque peine à la suivre au travers des nombreux développemens qu’il en donne ; et c’est à mon tour ce que je voudrais bien ne pas faire.

Ce qu’il m’est cependant difficile de ne pas remarquer, en terminant, c’est le rôle que la guerre a joué dans la formation de l’« âme américaine, » et c’est aussi, pour l’aider à prendre conscience d’elle-même, le bonheur qu’elle a eu de rencontrer un Georges Washington. En vérité, pour achever de donner à cette « âme américaine » les traits qui la caractérisent, trente ans écoulés depuis la guerre de Sécession n’avaient pas fait ce que