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péniblement dans le Sud de l’Afrique ? Triste spectacle ! La puissance matérielle la plus grande peut-être qui soit au monde fait retomber tout son poids sur la plus petite, mais la plus respectable des nationalités. Elle veut l’écraser, et n’en vient pas à bout. La victime se débat encore : elle proteste et crie, et ses protestations et ses plaintes se répercutent dans tout l’univers en échos douloureux. Elle ne veut pas mourir. Elle a beau être la plus faible, elle continue de se défendre, et dans quelles conditions ! Si on l’ignorait, le président Krüger, en débarquant à Marseille, l’a dit dans des termes dont se dégage une émotion tragique. « La guerre qu’on nous fait dans les deux républiques, s’est-il écrié, a atteint les dernières limites de la barbarie. Dans ma vie, j’ai eu à combattre parfois les tribus barbares d’Afrique ; mais les barbares que nous avons à combattre maintenant sont bien pires que les autres. Ils vont jusqu’à armer contre nous les Cafres. Ils brûlent nos fermes que nous avons eu tant de peine à construire ; ils chassent les femmes et les enfans dont les maris et les pères ont été tués ou emmenés prisonniers, et les laissent sans protection, sans bois et sans pain souvent. Mais, quoi qu’on fasse, nous ne nous rendrons jamais… Je puis vous assurer que, si le Transvaal et l’État Libre d’Orange devaient perdre leur indépendance, c’est que les deux peuples boers auraient été détruits avec leurs femmes et leurs enfans. » Le cœur se serre devant ces paroles, d’autant plus que ce n’est pas là une vaine rhétorique. Les faits ont jusqu’ici confirmé les affirmations du président Krüger. La guerre se prolonge ; il est impossible d’en prévoir la fin. Celle-ci n’arrivera, s’il faut en croire cet autre grand vieillard, que lorsque la race boer tout entière, y compris les enfans et les femmes, aura été exterminée. L’Angleterre ferme les oreilles à ce langage ; elle ne veut pas l’entendre ; elle détourne sa pensée des horreurs qu’elle est condamnée à accomplir. Elle a eu autrefois de beaux élans d’enthousiasme pour la cause de la Grèce, et sa flotte était à Navarin avec celles de la Russie et de la France. Elle s’est émue comme nous du sort de l’Italie, et, si elle a fait moins pour sa libération, elle en a profité davantage. Elle s’est apitoyée sur celui de la Pologne, puis des duchés de l’Elbe, et, non contente de joindre sa diplomatie à la nôtre, elle nous a quelquefois hardiment entraînés avec elle : il est vrai qu’elle s’est montrée plus froide pour ces mêmes causes, dès qu’elle les a jugées perdues. N’importe : nous avons eu dans le passé assez de sentimens communs pour qu’elle comprenne ceux que nous éprouvons aujourd’hui. Aussi ne s’en offense-t-elle pas ; et comment pourrait-elle le