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faire ? Au milieu de tant de cris qui ont été poussés sur le passage du président Krüger, pas un seul n’a été dirigé contre elle. A Marseille et à Paris, où l’épreuve a été prolongée plus longtemps et se poursuit encore, on a célébré l’héroïsme des Boers en lui-même, sans la moindre illusion à ceux qui en avaient provoqué l’explosion. On a laissé ces derniers à leur conscience : la nôtre s’est fondue tout entière en respect pour l’héroïsme et pour le malheur.

Le président Krüger, de son côté, a évité avec soin tout ce qui aurait pu mettre la France ou son gouvernement dans une situation délicate. Si les premières paroles qu’il a prononcées à Marseille ont été empreintes d’une douleur où se mêlait de l’amertume, après avoir dit ce qu’il avait à dire, il n’a eu garde de se répéter inutilement. Il n’est pas venu en Europe pour prêcher une croisade contre l’Angleterre : il sait bien qu’une telle entreprise dépasserait ses forces. Il ne cesse pas de dire que sa cause est juste, et que, si les hommes l’abandonnent, l’Éternel dans lequel il a foi ne lui manquera pas. Tous ses discours ont été empreints de la même élévation morale et du même tact pratique. A ceux qui lui ont été adressés, il a répondu avec mesure et discrétion, tout entier enfermé dans les pensées intimes qui l’ont conduit en Europe et dont nous ignorons exactement le caractère, mais où le deuil doit tenir la plus grande place : et quel deuil que celui de la patrie expirante !

Qu’est-il venu faire en Europe ? Dans les circonstances actuelles, il n’a pas quitté son pays en feu sans avoir un but défini. L’œuvre qu’il s’est proposée doit être digne de son intelligence et de son âme ; mais enfin qu’attend-il et qu’espère-t-il ? On a comparé son voyage à celui que M. Thiers a fait en 1870 à Saint-Pétersbourg, à Vienne, à Florence et à Londres : à dire vrai, il y a plus de différences que de ressemblances entre les démarches de ces deux hommes, qui l’un et l’autre ont aimé passionnément leur pays, et nous craignons qu’elles ne se ressemblent seulement par les résultats. C’est au commencement de la guerre, et non pas à la fin, que M. Thiers a accompli la mission que lui avait confiée le gouvernement de la Défense nationale. Mais il n’était pas alors le chef du gouvernement. Il n’était qu’un citoyen illustre, le plus connu de tous et le plus estimé au-delà de nos frontières, celui qui devait être le mieux accueilli et le mieux écouté. Au Transvaal, ni les circonstances, ni la situation de M. Krüger ne sont les mêmes. Les analogies qu’on relève sont donc plus apparentes que réelles : elles n’existent que dans l’imminence d’un malheur commun. M. Krüger a échangé des conversations avec M. le Président