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l’espoir d’écarter cette fatale échéance, elle a donc usé de son immense influence sur le peuple pour le troubler encore plus qu’il ne l’eût été de lui-même. De ce mécontentement des mandarins, l’Allemagne est encore particulièrement responsable, entre toutes les nations étrangères. C’est elle qui a donné le fâcheux exemple de l’établissement d’une domination européenne en un point de la Chine continentale, non pas en quelque dépendance éloignée et déserte comme d’autres l’avaient fait une ou deux fois auparavant, mais au cœur même des Dix-Huit Provinces, dans l’une des plus peuplées d’entre elles.

D’autres agitateurs ont uni leurs efforts à ceux des lettrés. Ce sont les agens des sociétés secrètes, qui fourmillent partout. Les associations qu’ils représentent s’occupent de secours mutuels, de philosophie, de politique, de socialisme, ou de brigandage, ou de tous ces objets à la fois, ou d’autres encore. Il en est de fort respectables ; il en est qui ne le sont nullement. Nénuphars blancs, sociétaires de la Triade, adhérens du Grand Couteau ou autres sont loin d’avoir des aspirations identiques ; mais presque tous sont hostiles à l’étranger, beaucoup ne le sont guère moins à l’ordre établi et à la dynastie régnante. Ils pécheraient volontiers en eau trouble et poussent toujours aux mouvemens populaires, dans l’espoir d’en profiter.

Au sommet de l’édifice vermoulu qu’est la Chine, la dynastie et la cour de Pékin ont, elles aussi, profondément ressenti les récens agissemens des Occidentaux : comme le peuple, comme les lettrés, elles ont souffert dans leurs traditions, leurs superstitions, leur orgueil. La vanité des prétentions du Fils du Ciel à la souveraineté universelle a été plus que jamais mise à jour, sa souveraineté sur le Céleste-Empire lui-même a reçu de graves atteintes. Diminution des ressources du Trésor à la suite de la lourde indemnité exigée par le Japon, cession forcée des ports, occupation de la Mandchourie, berceau de la dynastie, par des troupes étrangères sous couleur de protéger les travaux de chemins de fer, introduction sur le territoire sacré de l’Empire de ces engins détestés, immixtion des Européens dans les affaires intérieures, dans la perception non plus seulement des douanes, mais des likins, bref, obligation de céder à presque toutes les demandes formulées par l’étranger, ç’ont été autant d’intolérables humiliations qui ont fait craindre à la dynastie de « perdre la face » aux yeux de ses propres sujets.