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Russes eux-mêmes, d’ordinaire si souples et si prudens dans leurs rapports avec les Asiatiques, paraissent s’être quelquefois départis de leurs habitudes ; sans prendre au pied de la lettre les accusations portées contre les Cosaques par M. Colquhoun et quelques autres voyageurs ou résidens anglais qui peuvent être un peu trop enclins à la sévérité, il semble que les chefs n’ont pas assez tenu la main à ce que les sous-ordres et les soldats conformassent leur conduite aux traditions de tact et de mesure qui sont celles de la Russie en Extrême-Orient.

En un grand nombre de provinces, surtout dans le Nord, les Célestes ont donc été fort alarmés, lorsqu’ils ont vu les diables d’Occident, bouleversant le sol et amenant des appareils étranges, se livrer à des travaux dont ils ne pouvaient comprendre la raison ni les avantages à venir, — puisque les bienfaits des chemins de fer n’apparaissent qu’une fois leur construction achevée, — mais auxquels ils trouvaient une foule d’inconvéniens présens, car ces œuvres démoniaques troublaient les âmes des morts et les esprits des airs, de la terre et des eaux. Propagés partout avec rapidité, comme il arrive pour les nouvelles que les agitateurs de divers ordres ont intérêt à répandre, tandis que les autres restent inconnues ou se déforment prodigieusement, les récits amplifiés des maléfices des Européens semaient la crainte et la haine au cœur des populations. Dans tout voyageur qui passait, on voyait avec horreur un fourrier d’autres magiciens du dehors, qui allaient attirer, par la violation des coutumes traditionnelles, des catastrophes sur la région.

Sur le terrain si merveilleusement préparé de l’émotion populaire, tombaient et germaient les excitations des lettrés, fonctionnaires ou aspirant à l’être. Cette classe dirigeante de la Chine a été, dans son ensemble, plus alarmée encore que le peuple par la conduite des Européens durant ces dernières années. Elle a souffert, comme le peuple, de la violation des coutumes séculaires ; elle a été humiliée, elle si puissante dans son pays, de ne pouvoir s’opposer aux empiétemens de l’étranger ; elle a vu, de plus, dans l’occupation par les Européens de divers points des côtes, dans cette sorte de prise d’hypothèque sur diverses régions du pays qu’était la constitution des sphères d’influence, un prélude au partage, du moins au démembrement partiel de l’Empire. Elle a craint pour son bien, sinon pour sa patrie ; elle s’est crue sur le point de perdre ses prébendes et ses privilèges. Dans