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LE FANTÔME.

paix des chapelles italiennes, leur patrie d’origine. Jamais plus pur et plus douloureux cœur ne s’était répandu à leurs pieds, que celui de cette enfant de vingt-deux ans, à la veille d’être mère, et qui, dans cette période d’un début de mariage, où tout est espoir, lumière, confiance, commencement, se débattait contre un mystère, dont, hélas ! elle ne soupçonnait pas toute l’amertume ! S’il flotte, dans l’atmosphère invisible dont sont entourées les belles œuvres d’art, quelques atomes épars des émotions qu’elles ont suscitées, un peu des âmes qu’elles ont consolées et charmées, certes une influence d’apaisement dut descendre sur cette tête blonde, convulsivement pressée contre ces mains jointes… Où va la prière ? Quand des profondeurs de notre être intime jaillit un appel comme celui-là, vers la cause inconnue qui a créé cet être, qui soutient son existence, qui recevra sa mort, nous ne pouvons pas comprendre que cet appel ne soit pas entendu, que la cause de toute pensée n’ait pas de pensée, la cause de tout amour pas d’amour. Mais quelles sont les voies de cette communication entre le monde de l’épreuve, où nous avons été jetés sans le demander, et le monde de la réparation, où nous aspirons par toutes nos fibres saignantes, dans ces minutes de nos agonies intérieures ? Cela, nous l’ignorerons à jamais, comme aussi la raison de cette loi d’expiation, — du sacrifice de l’innocent pour le coupable, — qui pesait sur la femme d’Étienne Malclerc, sans qu’elle le sût, sans qu’elle eût, par elle-même, rien mérité que du bonheur… Et elle priait, elle priait toujours, jusqu’à ce que, redevenue maîtresse d’elle-même, elle se releva, et elle commença, elle aussi, de ne plus pouvoir détacher ses yeux de l’antique pendule, qui lui mesurait les minutes de l’attente, comme elle les avait mesurées à d’Andiguier avant son arrivée. Le balancier passait et repassait, emplissant la vaste pièce de l’implacable monotonie de son battement. La fièvre gagnait Éveline de nouveau. Elle se représentait les deux hommes l’un en face de l’autre, et elle avait peur. Un remords d’avoir provoqué cette explication la saisissait. L’idée la prenait de faire venir une autre voiture, de rentrer chez elle, d’interrompre cet entretien. Puis, l’angoissante question se posait : — Que se disent-ils ? Vais-je enfin savoir ? Ah ! mon Dieu ! Faites que je sache !… Et elle se remettait à genoux, pour prier encore… Une heure s’était écoulée de la sorte, dans ces alternatives d’exaltation et d’abattement, d’espérance et d’inquiétude, lorsque, avec l’acuité des sens