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Cette doctrine a été formulée par Herbert Spencer dans une phrase célèbre : « La pauvreté des incapables, la détresse des imprudens, l’élimination des paresseux et cette poussée des forts qui met de côté les faibles sont le résultat général d’une loi éclairée et bienfaisante ; » et dans cette autre : « Si la multiplication des moins bien doués était favorisée, et celle des mieux doués entravée, une dégradation progressive de l’espèce s’ensuivrait, et cette espèce dégénérée céderait la place aux espèces avec qui elle se trouverait en compétition. »

Il est assez curieux que le philosophe auquel on doit la comparaison raisonnée, méthodique, suivie, de la société à un organisme n’ait pas aperçu cette conséquence de sa comparaison que les parties malades de cet organisme ne sauraient être ni livrées à la gangrène, ni amputées de vive force sans dommage pour l’organisme tout entier. Quoi qu’il en soit de cette contradiction, la théorie du progrès par l’écrasement des faibles n’a pas fait la fortune qu’on pouvait craindre. Comme, des hypothèses scientifiques (et l’évolution ainsi que le transformisme ne sont encore qu’une colossale hypothèse) on peut tirer tous les argumens qu’on veut, quelques docteurs ès-sciences à la fois morales et naturelles ont découvert que l’altruisme était un des principaux facteurs de la sélection. Or, comme, dans l’écrasement sans pitié des faibles, il y a décidément quelque chose qui est opposé à l’altruisme, l’une de ces découvertes nous a heureusement sauvés des conséquences de l’autre.

Bien petit est également aujourd’hui le nombre des économistes de l’école appelée par Jules Simon : l’Ecole dure, qui voudraient supprimer de l’organisation sociale tout principe d’assistance. Sans doute beaucoup continuent de se montrer vis-à-vis de tout ce qui est bienfaisance publique ou privée hautains et sarcastiques. Ils contestent son efficacité et l’accusent volontiers de créer plus de maux qu’elle n’en guérit. Mais ils daignent cependant reconnaître que la misère est un fait dont la répercussion ne laisse pas d’avoir action sur l’état économique des sociétés, et, comme les faits leur inspirent, avec raison, grand respect, ils ne contestent pas la nécessité de venir en aide, aussi parcimonieusement que possible, il est vrai, à ceux qui en sont victimes. S’ils n’étaient pas irrésistiblement amenés à faire cette concession, comme les économistes sont gens très logiques, ils ne manqueraient pas de soutenir qu’il faut laisser les orphelins sans