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nourriture, les malades indigens sans soins, les infirmes sans secours. Or, je ne crois pas qu’il en existe un seul qui pousse la doctrine, juste en elle-même dans ses grandes lignes, du : laissez faire, laissez passer, jusqu’au : laissez mourir.

A dire vrai, la tendance serait plutôt aujourd’hui à l’exagération en sens opposé, et le nombre commence à être grand de ceux qui voudraient au contraire imposer à la Société une foule de charges qu’il serait beaucoup plus sage de laisser au compte de l’individu isolé ou associé. Cet état d’esprit assez nouveau est né peut-être du souci de plaire à l’électeur, mais peut-être aussi d’une nouvelle doctrine philosophique et sociale, au fond de laquelle il vaut la peine d’aller.

Pendant bien des siècles, l’idée-mère de l’assistance publique ou privée accordée aux malheureux a été le vieux principe charitable qui est le propre de la doctrine chrétienne. On peut sans doute se complaire à faire preuve d’érudition en démontrant que ce principe n’est pas aussi exclusivement chrétien qu’on le croit ; qu’on en retrouve la trace dans les religions de l’Extrême-Orient et aussi dans le paganisme. On peut répéter jusqu’à l’abus les trois fameux mots de Cicéron : Caritas generis humani. On ne fera jamais que le mot caritas fût dans la langue latine d’un usage aussi fréquent que le mot charité dans la nôtre. En d’autres termes, on ne saurait contester que la charité comme doctrine sociale ne date de l’Evangile, et que le devoir du riche de venir en aide au pauvre ne soit la conséquence et l’application des enseignemens du Christ. L’humanité avait vécu dix-huit siècles sur ce principe au nom duquel, personne ne le conteste, il avait été fait beaucoup de bien, et les choses auraient pu continuer à marcher ainsi sans que l’humanité s’en trouvât mal. Il aurait suffi que, comme toute entreprise où entre une part d’humanité, la charité rajeunît ses méthodes et adaptât son action aux nécessités de temps nouveaux engendrant des misères nouvelles. Mais il y a dans notre pays toute une école qui croit que, depuis la Révolution (avec un grand R), les choses ne peuvent plus être faites en France comme elles l’étaient autrefois. Aux adeptes de cette école il semble que le mot de charité écorche la bouche, ainsi que tous ceux d’origine chrétienne, et comme, d’autre part, ils sont gens trop intelligens pour ne pas comprendre que l’assistance aux malheureux doit reposer sur un principe, ils se sont mis à la recherche d’un terme nouveau pour exprimer ce