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crois que ce mode exceptionnel de coercition peut être employé par un État en cas de force majeure, c’est-à-dire quand il ne suffit plus de recourir à la persuasion pour défendre les droits méconnus de ses nationaux et pour faire exécuter des engagemens internationaux qui intéressent son existence, sa dignité même ou son honneur[1].

Cela posé, je crois fermement que les fautes du gouvernement chinois justifient l’intervention directe des États civilisés. Croit-on obtenir par la persuasion que les Chinois respectent la vie et le patrimoine des étrangers ? N’a-t-on pas épuisé les moyens diplomatiques ? Quel texte pourra dépasser, par la précision et la clarté, les traités de Nankin, de Whampoa, de Tien-tsin, de Shimonosaki ? Peut-on obtenir des engagemens plus formels ? A-t-on cessé, d’ailleurs, même depuis que les négociations de paix sont ouvertes, de souffler la haine, de suggérer le pillage et l’assassinat ? Tous les fauteurs du carnage ont-ils été réellement chassés du pouvoir ? N’ont-ils pas encore la haute main sur la direction de la politique extérieure ? N’est-ce pas avec la plupart d’entre eux qu’on voulut d’abord aboucher les plénipotentiaires européens ? Nier le droit d’imposer, dans cet ordre d’idées, le respect des maximes les plus sacrées de la morale interna-nale, c’est nier que l’État ait le devoir de protéger ses régnicoles à l’étranger et de recourir, pour atteindre ce but, aux moyens coercitifs, ce qui serait contraire aux notions les plus élémentaires du droit international.

Ce devoir, tout État qui se respecte doit le remplir avec un surcroît de promptitude et d’énergie, quand il s’agit d’assurer l’inviolabilité des agens diplomatiques, déjà compromise par des crimes internationaux. Que penser d’une nation assez faible pour dévorer l’affront en silence ou pour se contenter d’excuses dérisoires ? Il est à peine utile de rappeler comment la France s’acquitta de la tâche que lui assignait son rang dans le monde, après l’insulte faite à son représentant par le dey d’Alger. Si toute l’Europe et les nations de race européenne ont été souffletées du même coup, comme elles viennent de l’être, l’obligation est encore

  1. Plusieurs jurisconsultes enseignent, à vrai dire, qu’un État n’intervient pas, quand il contraint, même par la force des armes, un autre État à remplir ses engagemens, à réparer une injustice ou une insulte : « Il y a là, dit M. Bonfils (Manuel, n. 302), pression, violence, non intervention. » N’embrouillons pas la question par une querelle de mots.