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pas par peur de la force offensive des armées chinoises que nous nous retirerions ainsi ; mais ne serait-ce pas par crainte de la force d’inertie de cette immense masse du Céleste-Empire, par appréhension de voir son gouvernement se montrer intraitable, et s’enfoncer dans des profondeurs où nous ne saurions le suivre ? Le point de vue chinois ne serait pas alors si faux, en considérant comme un aveu de faiblesse l’évacuation de Pékin.

Le plus sage n’est-il point de ne pas se presser, de ne pas poser de conditions trop difficiles à faire accepter, mais, une fois qu’elles seront posées, de s’y tenir et d’attendre tranquillement, en prenant les quelques mesures énergiques que nous avons indiquées, que la Cour réfléchisse et se décide à acquiescer aux justes demandes de l’Europe. Au début, les Chinois refusent tout, et qui peut s’attendre à autre chose de la part d’un aussi madré personnage que Li-Hung-Chang ? Il connaît ses Européens à fond pour les avoir longtemps pratiqués ; il sait combien les longues négociations les lassent. Il a compté d’abord sur le désir des puissances de retirer au moins la majeure partie de leurs troupes avant que la glace ne vînt fermer les ports du Petchili, comme la France et l’Angleterre l’ont fait en 1860. Aussi commençait-il par tout refuser ou à peu près : ni indemnité pécuniaire ou territoriale, ni punition des coupables, à peine concédait-il quelques droits de protection des ports ouverts. Nous voyant bien décidés à ne pas nous en aller, il devient déjà plus coulant et l’on finira sans doute par en obtenir une indemnité, pourvu qu’elle soit proportionnée aux ressources de la Chine, la punition de quelques criminels de haut vol, la dégradation et l’exil des autres. Il est fort probable que la Cour ne se soucie pas, au fond, de rester hors de Pékin ni de déplacer le siège du gouvernement. Depuis cinq cents ans que les populations sont habituées à regarder vers la capitale actuelle comme centre de l’autorité impériale, cette ville, qui avait d’ailleurs été déjà capitale à plusieurs reprises, a acquis un lustre particulier. En s’en séparant, l’Empereur perdrait une partie de son prestige, sa légitimité paraîtrait moins certaine ; la dynastie, déjà affaiblie, en recevrait un nouveau coup. Pour rentrer à Pékin, la Cour en passera donc par les volontés des étrangers, si celles-ci ne sont point par trop dures et lui permettent de « sauver la face » aux yeux de ses sujets, ce qui a peu d’inconvéniens, pourvu qu’elle-même soit bien convaincue de la force de l’Europe. Même préférât-elle rester au