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tour à tour, ont parlé d’elle comme Calvin, ou détendu contre lui « sa vertu. » Pour nous, qui ne retenons d’elle que ses vers, nous ne croyons pas que l’on se puisse tromper à l’ardeur de passion qu’ils respirent, et, littérairement, c’est tout ce qui nous importe. Qui aima-t-elle ? et comment aima-t-elle ? Elle aima passionnément, voilà tout ce que nous pouvons dire, et c’était la première fois qu’en notre langue, la passion s’exprimait ou se déchaînait avec cette véhémence et cette naïveté. Pour la première fois, les voiles étaient ici déchirés, dont l’amour s’enveloppait encore dans la Délie de Scève, et aucune allégorie ne s’interposait plus, — on serait tenté de dire : ni aucune préoccupation littéraire, — entre le sentiment et son expression. Il ne faut pas douter que les poètes artistes de la Pléiade en aient été frappés comme nous, et l’exemple de Ronsard lui-même, on le verra bientôt, donnerait à penser qu’il n’a pas lu sans fruit le mince volume des Œuvres de Louise Labé, Lyonnaise.

Ajoutons que Louise Labé, le bon Pontus et le« seigneur Maurice Scève » ne sont pas les seuls représentans que l’on puisse nommer de l’école lyonnaise ; et, pour ne rien dire de Jeanne Gaillarde ou de Marguerite du Bourg, de Sibylle et de Claudine Scève, cousines ou sœurs de Maurice, et de tant d’autres femmes poètes dont la réputation de talent, d’esprit et de beauté a gravité autour de celle de Louise Labé, on retrouverait des traits de la « Belle Cordière, » dans la personne et dans les Rimes de Pernette du Guillet. C’est encore à Maurice Scève qu’elle adressait ce joli dizain :


Puisque de nom et de fait trop sévère
En mon endroict te puis appercevoir,
Ne t’esbahis si point ne persévère
A faire tant par art et par sçavoir
Que tu lairras d’aller les autres veoir :
Conque de toy je me voulsisse plaindre,
Comme voulant la liberté contraindre ;
Mais advis m’est que ton sainct entretien
Ne peult si bien en ces autres empraindre
Tes mots dorés, comme au cueur qui est tien.


« O poète ! ô chose inconstante et légère, va donc, et cours où la beauté t’appelle ! » Aime d’autres femmes et prodigue leur comme à moi la flatterie de tes vers ! Mais, dans ma solitude,