Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’appui de ses définitions, il n’en donnait que de Marot et deux ou trois tout au plus de Saint-Gelais et de Maurice Scève. Mais il ne craignait pas de comparer les coq-à-l’âne de Marot à la satire d’Horace, de Perse et de Juvénal, et nos moralités, — ô profanation ! — à la tragédie des Latins et des Grecs. Et enfin, parmi tous ces blasphèmes, s’il osait hasarder quelques nouveautés timides, — sur le caractère de l’inspiration poétique par exemple, ou sur les qualités de la langue nationale, — justement elles étaient de celles dont les hellénisans du collège de Coqueret étaient en train d’élaborer l’éloquente expression.

Avec cela, le sentiment de l’art y faisait cruellement défaut, et on le voyait bien dans le chapitre du sonnet. Car, on le sait aujourd’hui, ce n’est ni Du Bellay, ni Pontus de Tyard qui ont introduit le sonnet dans notre poésie française ; et ce chapitre, qui est daté de 1548, aurait dû suffire depuis longtemps à le prouver, si d’ailleurs nous n’avions des sonnets de Jacques Pelelier du Mans et de Marot lui-même, imitations ou traductions de Pétrarque. Mais Sibilet ne craignait pas de comparer le sonnet à l’épigramme, et le barbare ! il en trouvait la « structure un peu fâcheuse, » bien loin d’en sentir la beauté quasi mathématique et la singulière valeur d’art. A toutes les qualités du poème à forme fixe, dont la principale est de permettre de sertir ou d’enchâsser la pensée dans une monture d’exécution parfaite, le sonnet joint ce grand avantage d’être libéré de la pire contrainte qui gêne la ballade ou le rondeau, et c’est celle du « refrain. » Il s’achève en s’ouvrant, et son dernier vers le prolonge en perspectives infinies. Le bon Sibilet ne se montrait guère plus artiste dans le chapitre qu’il intitulait : Du Cantique, Chant lyrique, ou Ode et Chanson. Toute la différence qu’il trouvait de l’ode à la chanson était que la seconde « est moindre en nombre de couplets que la première, et de plus inconstante façon en forme de style. » Et en effet ode ou chanson, il est certain que c’est le même mot, mais la signification en diffère, jusque dans l’analogie, de tout l’intervalle qui sépare une inspiration familière d’une œuvre d’art accomplie.

On conçoit donc aisément l’indignation de Ronsard et de Du Bellay à la lecture de ce livre ; et très vraisemblablement, c’est alors qu’ils résolurent, pour y répondre, d’écrire la Défense et Illustration de la langue françoise. Il fallait en finir avec l’école de Marot. Et puisqu’en littérature, comme partout, on ne détruit