Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certes. Ils peuvent, comme nous l’avons dit, la faire durer assez longtemps pour fatiguer l’armée ennemie, et lui imposer une épreuve à laquelle elle ne résistera peut-être pas. Les ministériels se trompent lorsqu’ils croient à leur parfaite homogénéité et solidité. Mais il est triste de finir au milieu d’une discussion pareille un siècle grand et généreux, qui a été consacré presque tout entier à la poursuite et à la conquête de la liberté !


Au moment où nous écrivions notre dernière chronique, le président Krüger, encore en France, s’apprêtait à nous quitter, pour aller où ? Serait-ce directement à la Haye comme on l’avait cru d’abord ? Ou bien à Berlin, comme on commençait aie dire ? M. Krüger s’est décidé en faveur de Berlin et a pris la direction de l’Allemagne, rencontrant sur son chemin l’empressement des populations partout désireuses de lui témoigner leur sympathie. Le Président de la République sud-africaine marchait ainsi d’ovations en ovations. Arrivé à Cologne, il y a été reçu comme il l’avait été à Marseille, comme il l’avait été à Paris, comme il l’aurait été à Berlin, s’il avait pu continuer jusqu’au bout son voyage. Mais, là, un télégramme de l’Empereur est venu l’arrêter et l’obliger à retourner en arrière.

Le coup a été si subit et si brusque, qu’il a surpris tout le monde. Quelque opinion que l’on puisse avoir sur l’utilité du voyage de M. Krüger, et sur son opportunité, l’homme est par lui-même si digne de respect et il représente une si noble cause, qu’il méritait incontestablement plus d’égards. Si l’empereur Guillaume ne voulait pas le recevoir, pourquoi ne le lui a-t-il pas fait savoir plus tôt ? Il l’a fait, dit-on aujourd’hui ; il a averti M. Krüger à Paris, et même à Cologne, de l’impossibilité où il était de le recevoir. C’est la faute de celui-ci s’il n’a pas voulu comprendre. L’explication a été fournie bien tardivement et n’a pas convaincu tout le monde. Comment M. Krüger, qui a quitté Cologne à la première sommation, y serait-il allé, s’il avait bien connu d’avance la volonté impériale ? On ne nous ôtera pas de l’esprit qu’il ne la connaissait pas, ou qu’il la connaissait mal. Il a donc voulu interroger lui-même le sphinx. Celui-ci n’a pas attendu la question pour donner, cette fois, une réponse parfaitement claire : il a notifié au président Krüger que les dispositions qu’il avait déjà prises l’empêchaient de l’admettre en sa présence. M. Krüger n’est resté à Cologne que le temps nécessaire pour reprendre quelques forces. Les témoignages d’estime et de bienveillance dont il n’a pas cessé d’être entouré ont peut-être adouci l’amertume de sa blessure.