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Europe. » Et M. Delcassé a répondu que la France ne prendrait aucune initiative, mais qu’elle ne s’opposerait à aucune de celles qui pourraient être prises ailleurs, et qu’elle était prête à s’y associer. La question de M. Krüger prouve qu’il se faisait encore des illusions sur l’état de l’Europe, et la réponse de M. Delcassé montre qu’il a préféré que ces illusions fussent définitivement dissipées par d’autres que par lui. Il a laissé ce soin à l’empereur allemand, qui s’en est acquitté avec une incomparable maestria. M. le comte de Bulow approuve fort la réponse de M. Delcassé ; il la qualifie d’ « aussi judicieuse que possible, » et il assure que lui-même, si pareille situation lui était échue à Berlin, ne s’en serait pas tiré plus adroitement. « Je n’aurais pu dire à M. Krüger, déclare-t-il, que ce qu’on lui a dit à Paris. » Nous en sommes convaincus d’avance, et nous sommes sûrs aussi que M. de Bulow y aurait mis les mêmes formes que notre ministre des Affaires étrangères ; on rudoie à distance un vieillard accablé par l’infortune, mais on le ménage de près, parce que le cœur se met de la partie, et si le sentiment ne doit pas être le guide de la politique, il n’est pas nécessaire de l’exclure absolument, même en politique, des relations entre les personnes. « Nous n’avons aucune inclination, a dit M. de Bulow, à jouer les Don Quichotte ; » en quoi il a bien raison. Nous n’avons non plus aucune inclination de ce genre, et, si nous l’avons eue autrefois, on a fait tout ce qu’il fallait pour nous en guérir. Mais le rôle contraire ne nous convient pas davantage, et dans tous les cas ce n’est pas à l’égard du président Krüger que nous aurions voulu le jouer.

Un passage du discours de M. de Bulow mérite une mention particulière : il ramène à ses proportions véritables le rapprochement dont on a tant parlé depuis quelques semaines entre l’Angleterre et l’Allemagne. Quelques-uns assuraient déjà qu’il s’agissait d’une alliance, et on se demandait au Reichstag si l’attitude de l’empereur Guillaume à l’encontre de M. Krüger était un premier gage de cette politique nouvelle. Le chancelier de l’Empire a affirmé une fois de plus que les meilleures relations existaient entre Londres et Berlin, et qu’il entendait les maintenir ; mais, cela dit, il a ajouté : « Nous sommes, vis-à-vis de l’Angleterre, tout à fait indépendans ; nous ne sommes pas plus liés à l’Angleterre, fût-ce par l’épaisseur d’un cheveu, que l’Angleterre n’est liée à nous. » Il est impossible d’employer des expressions plus fortes et plus claires. Elles sont bonnes à recueillir de la bouche de M. de Bulow, qui avait tant d’autorité pour les prononcer. Il y a eu, entre l’Angleterre et l’Allemagne, une entente sur une des phases, déjà si nombreuses, des négociations chinoises ; et cela sans