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privations de toutes sortes auxquelles ils étaient soumis, victimes d’une trahison et surpris comme des loups dans un trou au moment où ils s’y attendaient le moins, les malheureux qu’on venait de saisir avaient vu trente fusils braqués sur eux et compris sur-le-champ l’inutilité de leur résistance. Ils s’étaient rendus sans combattre, après s’être assurés qu’on n’allait pas les massacrer. Quelques heures plus tard, on les incarcérait au Puy, et, avec eux, cette Marie Thiouleyre, à qui on demandait compte de l’hospitalité qu’elle leur avait accordée[1].

Interrogés le lendemain, les deux plus jeunes donnèrent leur véritable nom. L’un se fit reconnaître pour Charbonnelle de Jussac[2], né à Monistrol dans la Haute-Loire et résidant ordinairement à Saint-Maurice dans la Loire ; il avait vingt et un ans ; l’autre, pour Jean-Baptiste Robert, âgé de vingt-quatre ans, cultivateur et domicilié dans le même département, à Laborie de Chantecorps. On ne mit pas en doute la sincérité de leur réponse. Il n’en fut pas de même des deux plus âgés. Lorsqu’ils se furent désignés, le premier sous le nom de Tallard, le second sous le nom de Barlatîer, natif de Lille et marchand forain, le commissaire qui les interrogeait soupçonnant, après examen des papiers qu’on avait trouvés en les arrêtant, qu’ils ne disaient pas la vérité, fit défiler devant eux des paysans qui les reconnurent, l’un pour le marquis de Surville, l’autre pour Dominique Allier. Ils n’en persistèrent pas moins à soutenir leurs premiers dires. Mais la police, convaincue qu’elle tenait les deux principaux meneurs du soulèvement des Cévennes, ne les désigna plus, dans les rapports officiels, que sous leur véritable, nom. Comme on pouvait craindre que leurs partisans ne tentassent de les délivrer, la maison de détention du Puy où ils avaient été enfermés fut fortifiée. On mura des croisées et des portes ; on multiplia les serrures, on tripla les postes ; on ne pouvait prendre trop de précautions contre des hommes de cette trempe, qui avaient donné tant de preuves d’indomptable audace.

  1. On retint contre elle la prévention de complicité avec des faux monnayeurs. Les documens permettent de supposer qu’elle fut acquittée.
  2. Originaire du Velay, la famille de Charbonnelle de Jussac remonte au XIe siècle. Le père de celui de ses membres dont il est ici question, fit partie de l’armée de Condé, où il commandait l’artillerie de la légion de Mirabeau. Il fut tué sur ses pièces, le 18 mai 1793. Une de ses filles épousa le comte de Chabron. De ce mariage naquit un fils qui fut le général de Chabron que nous avons connu député à l’Assemblée nationale de 1871 et sénateur inamovible.