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de deux principes, le yin et le yang ; tout le raisonnement scientifique aboutit à un cliquetis de mots. Pour l’ignorant, tout résulte de l’action d’esprits innombrables, doués de peu d’attributs distincts : les uns, sans figure, animant des animaux, des objets, parfois étant ces objets mêmes ; les autres, conçus comme des hommes, personnages historiques ou anecdotiques qui ont acquis un nouveau genre d’existence. De cette absence de notions scientifiques, naissent à la fois le scepticisme et la crédulité : on n’admet pas les constatations les plus simples de la physiologie, de la physique, des mathématiques ; et l’on croit que de la place d’un tombeau dépend la ruine d’une famille ; que des démons en papier peuvent couper les nattes de toute une population ; que des exercices, des méditations permettent de traverser les murs ou rendent invulnérable. Comme les deux principes, comme les esprits déchaînent les maladies, les inondations, les sauterelles, l’incendie, comme ils régissent les fléaux et la prospérité des familles et de l’empire, l’acte le plus simple, interprété par le croyant ou le malveillant, peut soulever une tempête de fanatisme, qu’une explication conforme aux préjugés pourra seule à son tour apaiser.

Interrogé sur les esprits et sur l’au-delà, Confucius répondit : « Je ne sais pas encore les choses de la vie, comment saurais-je les choses de la mort ? » et il conseilla, pour les rapports avec les divinités, de se conformer aux coutumes des anciens. Fidèles à cet enseignement, ses disciples font des sacrifices en l’honneur de leurs ancêtres, des héros bienfaiteurs et protecteurs, des dieux qui président aux phénomènes de la vie et de la nature, ils prennent part aux cérémonies du taoïsme et du bouddhisme ; mais de tout cela ils ne cherchent pas la signification, ils ne se demandent pas s’ils croient ; le mot de foi n’a pas de sens pour eux, et leur morale a sa base ailleurs. Quant à l’ignorant, il croit indistinctement à tous les esprits dont on lui a parlé, et s’efforce d’avoir des intelligences parmi eux ; c’est là une foi intéressée, individuelle, susceptible de réunir les hommes seulement, si quelque offense contre les esprits, commise ou supposée, fait redouter leur vengeance. Toutefois il y a eu souvent en Chine des hommes qui, adoptant la foi en un esprit quelconque, ont, en son nom, imposé des épreuves d’initiation, ont formulé des règles de morale, ont organisé une hiérarchie et un culte, ont enfin formé des sectes ressemblant à des religions agissantes ; cet