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élément est présent dans la plupart des sociétés secrètes ; mais jusqu’ici, ces confréries fluides, sans durée, sans extension, n’ont rien organisé, n’ont même pu soulever de troubles que pour des motifs étrangers, économiques ou politiques.

La religion proprement dite n’est donc pas une force en Chine ; et il en est de même de cette autre religion, qui a aussi sa foi et ses martyrs, je veux dire le patriotisme. Concevoir un pays comme un être qui vit et se développe, qui peut souffrir et périr, exige une puissance d’abstraction rare ou absente dans l’esprit chinois. Le paysan défend son champ et sa maison, il s’inquiète des troubles qui ont lieu dans son district ou dans le district voisin et dont le contre-coup peut l’atteindre ; mais l’homme du Chan-tong ne se soucie pas de l’invasion qui menace le Tchi-li et qui sans doute ne s’étendra pas jusqu’a lui. Quand les troupes franco-anglaises, ou japonaises, ont occupé des provinces chinoises, la population s’est aisément soumise et a vaqué à ses travaux dès que l’ordre a été assuré : bien plus, des coolies chinois, loués par les armées étrangères, ont bravement fait le service pour lequel ils étaient engagés, même contre les troupes impériales. En raison de ce manque de cohésion, les Chinois ont fini par subir toutes les invasions, depuis les peuples tartares, To-ba, Mou-yang et autres dans les premiers siècles de l’ère chrétienne jusqu’aux Mandchous au XVIIe siècle ; ils ont accueilli tous les maîtres, du moment que ceux-ci, s’étant établis par la force, ont à peu près respecté les propriétés, les coutumes des vaincus. D’ailleurs, tout en attendant la mort avec indifférence, le Chinois redoute la guerre intérieure ou extérieure, qui l’arrache à son champ ou à son métier. La perte immédiate qu’il subit, en cessant de travailler, est plus grave à ses yeux que le danger éloigné et incertain qu’il faudrait combattre ; l’organisation patriarcale et égalitaire des associations de tous genres s’accorde mal avec la discipline d’une armée, si vague soit-elle : ni la nécessité, ni les principes d’une forte organisation militaire ne sont compris ; et l’on voit ce trait se marquer, surtout depuis que, la féodalité ayant définitivement disparu, la propriété individuelle a, au VIIIe siècle, remplacé la propriété de l’État, qui était en partie concédée aux nobles, en partie partagée périodiquement. Dès lors, les fortunes privées ont pu s’édifier, le commerce s’est développé. La Chine est assez riche en produits naturels ; le Chinois sait assez tirer parti de ces produits pour fournir aux besoins du plus grand