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chinoise, le respect de l’autorité patriarcale, il ne comprendrait pas davantage l’élan vers le bien qui aiguillonne notre civilisation ; nous ne serions pas plus hommes à ses yeux. L’âme européenne ne se dépense pas toute en résultats tangibles, et, pour montrer le reste, l’immatériel, il faudrait atteindre au cœur même de la civilisation chinoise, agir par l’éducation.


III

Depuis la mort de saint François Xavier dans une île inhabitée en face de Canton (1552), il s’écoula plus d’un quart de siècle avant que les missionnaires jésuites, enfermés à Macao comme les Portugais, pussent s’établir sur le sol chinois : le P. Matthieu Ricci, après plusieurs années de séjour aux portes de la Chine, fut enfin autorisé (1583) à résilier à Tchao-khing, capitale de la province. Il avait mis à profit sa longue attente et il connaissait déjà bien les hommes qu’il allait évangéliser. Il fallait avant tout ne pas choquer un peuple raffiné, infatué de ses coutumes. Les Jésuites ne pouvaient changer leur visage afin de ne pas prêter à rire aux Chinois ; du moins ils prirent le vêtement du pays, d’abord celui des bonzes, et un peu plus tard, ayant reconnu le peu de cas que l’on fait de ces derniers, celui des lettrés. C’est alors qu’ayant acquis la respectabilité que donne le costume, ils durent harmoniser leur genre de vie et leur maintien avec leur extérieur, renoncer aux attitudes et aux gestes européens, à cette exubérance occidentale que le Chinois tient pour un signe de mauvaise éducation ; il leur fallut se composer ce masque sérieux et impassible qui est de bon ton, travail de chaque heure, difficile parce qu’il touche aux habitudes corporelles qui traduisent notre caractère même. Se faire Chinois avec les Chinois, telle était la première étape : du jour où il y avait à peu près réussi, le missionnaire pouvait prêcher aux hommes du peuple, âmes simples et d’accès facile. Mais la prédication ouverte n’était guère de mise avec les lettrés, orgueilleux de leur science, rompus aux discussions subtiles ; avec eux, il fallait se faire lettré, connaître leurs classiques, être en état d’écouter leurs dissertations et d’y répondre, pouvoir écrire leur langue avec agrément : plusieurs Jésuites y réussirent et leurs ouvrages, lus par tous, trouvèrent accès jusqu’à la bibliothèque impériale. Ce n’était pas assez de traiter de pair avec les gens cultivés ; combattre leurs idées sans