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Car, d’abord, c’était l’opinion qu’il s’agissait de renouveler, si c’était le poète lui-même qu’il fallait relever de l’humilité de sa situation de cour, et tirer des humbles besognes où on le voyait depuis si longtemps relégué. Quand les Saint-Gelais ou les Marot, pour ne rien dire des moindres, avaient rimé quelques Etrennes ou quelques Mascarades ; quand ils avaient célébré


Quelque noce, ou festin, ou bien quelque entreprise
De masque ou de tournoi ;


quand ils avaient prêté leur plume de spirituels entremetteurs d’amour aux caprices « d’un grand prince ou de quelque grande dame, » on ne leur en demandait pas davantage ; un « doux sourire, » quelques écus payaient leur complaisance ; et d’ailleurs ils ne s’en trouvaient pas plus rabaissés, ni surtout humiliés, que de faire le lit du roi quand ils avaient l’honneur d’être l’un de ses valets de chambre. Mais les Du Bellay, les Ronsard, les Pontus de Tyard, Baïf même, du moins en l’avril de son âge, n’avaient aucune disposition à jouer un pareil rôle. Ils avaient l’âme plus indépendante ; et, si c’était un métier que de faire des vers, ils prétendaient que l’on ne le considérât comme intérieur à aucun autre. Gentilshommes de race, destinés dès l’enfance aux armes, à la diplomatie, à l’Eglise, très fiers de leur naissance, de leur parenté, de leurs alliances, ils n’admettaient point que l’on « dérogeât » en écrivant des Sonnets ou des Odes. « La gloire des Romains, disaient-ils à ce propos, n’est moindre en l’amplification de leur langage que de leurs limites ; » et, de cette gloire, même militaire, que subsisterait-il sans les poètes qui l’ont consacrée ?


Vixere fortes ante Agamemnona
Multi, sed omnes illacrimabile
Urgentur ignotique longa
Nocte, carent quia vate sacro.


Les souvenirs de l’antiquité venaient ici se mêler, dans l’idée que les Ronsard et les Du Bellay se formaient du poète, au sentiment de leur dignité personnelle. « Alexandre s’écriait près du tombeau d’Achille : O bienheureux adolescent, qui as trouvé un tel buccinateur de tes louanges ! »

Mais, si ce pouvoir de faire ainsi durer éternellement les exploits des héros n’a été donné qu’à un petit nombre d’hommes,