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ceux qui l’ont reçu ne sont-ils pas les premiers des mortels ? Qu’ils prennent donc enfin conscience de leur personnage, de son importance, et de sa grandeur ! Un empereur n’a-t-il pas dit encore « qu’il voulait plutôt la vénérable puissance des lois être rompue que les Œuvres de Virgile, condamnées au feu par le testament de l’auteur, fussent brûlées ? » Voilà rendre témoignage à l’excellence de la poésie. Non, en vérité, le poète n’est pas un homme ordinaire ! Seul d’entre tous, l’inspiration « l’éveille du sommeil et dormir corporel à l’intellectuel veiller ; » elle le « révoque des ténèbres d’ignorance à la lumière de vérité, de la mort à la vie, d’un profond oubli au ressouvenir des choses célestes et divines ; » elle en fait l’interprète, le confident, l’égal des Dieux. Ainsi du moins s’expriment Pontus dans le premier de ses Dialogues ; ainsi. Du Bellay dans son Ode à Bouju. Angevin, sur l’Immortalité des Poètes ; et ainsi. Ronsard lui-même, Ronsard surtout, et un peu partout, mais nulle part avec plus d’abondance, et d’éloquence, et de magnificence que dans son Ode célèbre à Michel de l’Hospital, chancelier de France, son chef-d’œuvre aux yeux de ses contemporains[1] :


Errant par les champs de la Grâce
Qui peint mes vers de ses couleurs
Sur les bords Dircéans j’amasse
L’élite des plus belles fleurs…


On voit par là quelle est l’exacte signification des vers si souvent cités de Du Bellay :


Rien ne me plaît, hors ce qui peut déplaire
Au jugement du rude populaire ;


et qu’ils ne lui ont été dictés ni par sa vanité de gentilhomme, ni par quelque infatuation de pédantisme ingénu, comme on l’a semblé croire, mais par l’idée même qu’il se fait, avec ses amis, du poète et de la poésie. Le sens en est précisément le même que celui des vers de Ronsard, mettant ces paroles dans la bouche du maître des Dieux :


Ceux-là que je feindrai poètes,
Par la grâce de ma bonté,
Seront nommés les interprètes
Des Dieux et de leur volonté ;
  1. Il est intéressant de comparer à cette Ode celle que Victor Hugo, dans ses Contemplations, a intitulée : Les Mages.