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On ne saurait parler plus clair. Entre la Pléiade et ses adversaires, c’est de la notion ou de l’objet de la poésie même qu’il s’agit. Qu’on ne lui allègue donc, plus Saint-Gelais ni Marot, ni l’auteur des Lunettes des Princes, ni celui du fameux rondeau, le Raminagrobis de Rabelais,


Prenez-la, ne la prenez pas…


Le vrai poète est « ennemi mortel des versificateurs, dont les conceptions sont toutes ravalées, qui pensent avoir fait un grand chef-d’œuvre quand ils ont mis de la prose en vers. » (Claude Binet, Vie de Ronsard.) Il ne méprise point la foule, et, au contraire, c’est elle qu’il voudrait atteindre, ou essayer d’élever jusqu’à lui. Seulement, pour y réussir, il faut commencer par ouvrir les yeux de cette foule, et par la détourner ou la dégoûter à jamais de tout ce qui, sous le nom de poésie, n’en a été jusqu’alors que la dérision ou la caricature.

Et c’est encore la raison de la guerre qu’ils ont menée contre « les poètes courtisans. » Non pas du tout qu’ils dédaignent la Cour, et, au contraire, ils voudraient l’avoir, comme la foule, avec eux ! Mais, au lieu d’employer ou de « ravaler » le poète à des besognes inférieures, ils voudraient que la Cour apprît ce que c’est que l’interprète des Dieux, à quel prix on l’est, et surtout qu’elle sentit la différence qui sépare un Ronsard ou un Du Bellay d’un Marot. Si le poète, pour s’acquitter de ce qu’ils eussent volontiers appelé sa « mission divine » ou « sa fonction sociale, » a besoin de vivre loin de la Cour et du monde, s’il ne peut égaler ou remplir sa propre définition qu’à force de travail et de « veilles ; »


S’il accourcit ses ans pour allonger sa gloire ;


ils voudraient que la Cour lui en sût gré, l’en payât même comme d’un sacrifice ; et, comparant leur labeur avec la facilité des versificateurs de cour, ils voudraient qu’on les honorât à proportion du dévouement qu’ils montrent pour leur art.


Qui veult voler par les mains et les bouches des hommes doit demourer longuement en sa chambre, et qui désire vivre en la mémoire de la postérité doit, comme mort en soy-même, suer et trembler maintefois, et autant que noz poètes courtisans boivent, mangent et dorment à leur aise, endurer de faim, de soif et de longues vigiles. (Illustration, Livre II, ch. III.)


C’est qu’aussi bien ce dévouement à son art, qui est le titre