et qui me rend plus criminel encore de ne pas l’avoir subie plus tôt ? Il était trop tard pour ces scrupules, trop tard pour être honnête homme ! Par quelle contradiction inexplicable à moi-même, cette ressemblance qui m’avait tant séduit venait-elle tout à coup de me faire mal ?… Aujourd’hui que cette première impression s’est approfondie et renouvelée pendant ces trois mois, je comprends et pourquoi elle n’avait pour ainsi dire pas existé avant ce départ, et pourquoi elle est née avec cette soudaineté et cette violence, dès que nous avons échangé, Éveline et moi, une caresse vraiment passionnée. Je comprends pourquoi cette vieille maison de mon enfance, que j’avais choisie pour y passer, dans la solitude et le recueillement, cette semaine décisive de l’initiation, et où je suis devenu son mari, — à travers quelles émotions ! — me restera désormais dans mon souvenir comme un des endroits au monde où j’ai le plus souffert. C’est que d’être aimé d’une vierge avec toutes les tendresses pudiques, toutes les réserves sacrées d’un tel amour, c’est recevoir quelque chose de si beau, de si délicat, de si adorable, et que, pour mériter ce don sacré, — le prêtre avait raison, — il faut avoir été repétri dans le repentir, dans l’oubli de ce que l’on fut. Il faut être l’homme nouveau, l’homme né une seconde fois dont il parlait. Il faut ne pas se revoir en pensée dans d’autres heures, ne pas comparer, malgré soi, un regard à un regard, la douceur d’un baiser à un autre baiser, — et quand ces regards, quand ces baisers sont ceux de la mère de cette vierge, alors ce rapprochement est abominable ! Ah ! quand on ose ce que j’ai osé, on doit avoir cette implacable audace dans la recherche de la sensation qui trouve un spasme de délice dans ces sacrilèges du
cœur. Est-ce là mon histoire ? Non, non, non, et encore non ! Ce que j’avais rêvé, ce que j’avais demandé de toute la force de mon âme, ce n’était pas de la sensation, c’était de l’émotion ; ce n’était pas du plaisir, c’était du bonheur, c’était d’être aimé et d’aimer dans la douceur, dans l’extase, dans l’abandon, — et j’écris ces lignes en pleurant, et en me cachant de mes larmes pour n’en faire pas verser d’autres… Je viens d’entendre qu’une voix m’appelle à travers la porte, bien doucement, pour savoir si je repose encore. Éveline m’a entendu qui bougeais… Je quitte ce cahier, que je vais cacher et refermer. Et cela encore me fait sentir la misère de notre mariage, où tout doit être silence !