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nos disputes ; elle aurait pu témoigner d’un effort sincère vers la réconciliation et la concorde ; elle aurait pu mettre une dernière ligne bienveillante et confiante au livre près de se refermer. Malheureusement le ministère ne l’a pas comprise et voulue ainsi.

La conception qu’il en a eue, bien qu’infiniment étroite, a pourtant été juste sur un point. Au fond, il ne s’est préoccupé que de mettre fin à l’affaire Dreyfus. Quels que soient ses sentimens personnels sur cette affaire, il n’a pas échappé à l’influence de l’opinion qui lui demandait d’une voix de plus en plus impérieuse de ne pas se prêter à sa reprise. Après les élections générales de 1898, la Chambre nouvelle n’avait qu’une pensée, ou du moins qu’un désir, qui était de reconquérir sa liberté d’esprit et de l’appliquer tout entière aux intérêts généraux du pays. Elle n’a pas pu le faire aussi vite qu’elle l’aurait voulu. L’affaire maudite s’est imposée à elle, lui a fait perdre beaucoup de son temps et de son calme, l’a poussée à commettre beaucoup de fautes sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Au reste, quel ministère ou quelle Chambre n’a pas quelques fautes à se reprocher à propos de cette affaire ? S’il y a une question sur laquelle il serait équitable et sage de se témoigner quelque indulgence réciproque, à coup sûr, c’est celle-là. Et ce sentiment, s’il prévalait, serait la véritable fin de l’affaire. Mais il y a des gens qui, en ayant vécu longtemps, ne veulent pas qu’elle finisse. Ils remuent désespérément des cendres qui s’éteignent, pour essayer d’en faire jaillir encore quelques étincelles et de rallumer un incendie. La discussion de l’amnistie devait leur fournir une occasion de manifester une fois de plus, — et il faut souhaiter que ce soit la dernière, — la fureur de leur parti pris. On a assisté, à la Chambre des députés, aux scènes les plus tumultueuses et les plus prolongées. Une séance a duré jusqu’à deux heures et demie du matin, ce qui ne s’était pas encore vu depuis les périodes révolutionnaires de notre histoire. On a entendu rappeler à la tribune des pièces, des documens, des incidens presque oubliés ; les mots dont on se servait ne réveillaient déjà plus que des idées confuses ; il fallait faire un effort de mémoire pour en préciser le souvenir. Un officier, — comme autrefois, — a commis des indiscrétions qui l’ont fait punir des arrêts de forteresse et envoyer au Mont-Valérien. On s’est demandé un moment si l’affaire allait vraiment recommencer, et en quelque sorte rebondir sur le projet d’amnistie qui avait pour intention de l’étouffer définitivement. Cela ne suffisait-il pas pour faire sentir combien il était désirable que cette amnistie fût votée, malgré toutes les lacunes et tous les défauts qu’elle