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abdication pût le sauver d’un sort trop affreux et trop prévu. Mis aux fers, en 1538, malgré les murmures des soldats, il expire dans les tortures, cinq ans après Atahualpa, seize ans après Guatimozin, sans avoir, plus qu’eux, révélé le secret de ses trésors. Ainsi devait finir le dernier des zipas, comme étaient mort le dernier Inca et le dernier Aztèque.

Et pourtant, c’est vrai, l’on ne peut s’arrachera tout sentiment d’admiration, pour la frénétique témérité des protagonistes de ces crimes. Notre jeunesse contemporaine désireuse, assure-t-on, de « professeurs d’énergie » et soucieuse d’expatriations fécondes, devrait, avec la critique voulue, s’instruire à leur exemple, retenir d’eux ne fût-ce que cette indestructible confiance en soi-même qui fait de leur histoire le plus passionnant des romans. Cela dilate, malgré tout, la poitrine, de respirer après eux cette époque magnifique et folle de chevalerie, de férocité, d’inextinguible ambition où la lie des salons et des faubourgs d’Espagne venait sonner ici un hallali sans pitié, et, après avoir bataillé pour tant de fortunes, finissait par se massacrer elle-même. Cortez au Mexique, Pizarre au Pérou, Almagro au Chili, Francisco César dans le Cauca, Orellana sur l’Amazone, Quesada ici, quels âges, quelle histoire ! Il semblait qu’ils eussent tous pris pour devise le cri du marquis de Pescara fonçant sur les Français à la bataille de Pavie : « Ea, mis leones de España, hoy es el dia de matar esa hambre de honor que siempre tuvisteis ; y, para eso, os a traido Dios tanta multitud de pecoras ! Çà, mes lions d’Espagne, voici l’heure d’assouvir cette faim de gloire que vous eûtes toujours ; pourquoi Dieu a mandé vers vous une telle multitude de ces pécores ! »

Et mille songeries pareilles, pleines d’épées brandies, de strophes rouges et de heurts d’années, vous assaillent ainsi, tyranniquement, quand on se promène le long de cette grève où la mer épique a le soir une lamentation mystérieuse et douce, comme le hurlement d’âmes blessées.


Outre ce parfum concentré d’histoire, Santa-Marta offre encore deux attraits, deux voisinages captivans : celui de la Sierra Nevada, et celui de l’habitation rustique où s’éteignit Simon Bolivar, le libérateur de l’Amérique.

Pour goûter le premier, il est indispensable d’organiser une petite expédition, de ne point lésiner sur le temps et enfin