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rectangle de grilles. Instantanément, c’est tout un coin d’évocation ou de souvenirs qui jaillit là, devant cette modeste finca de San-Pedro retombée aujourd’hui au silence et à la ruine et où, pourtant, finit, ses jours, l’Affranchisseur, el Liberlador, comme ils l’appellent tous, aujourd’hui, tardivement reconnaissans à sa mémoire.

Et cette destinée météorique s’éclaire mieux par le contraste de la thébaïde actuelle, oubliée sous les verdures, où l’imposante silhouette de pierre fraîche met une tache surprenante pour ce cadre si tristement, si mélodieusement désert. Tout cela est humble à souhait, si dissimulé sous les frondaisons, comme si le héros avait voulu se faire pardonner, en ses dernières heures, d’avoir trop longtemps commandé à l’attention des hommes ! Tel le sage antique sur le pas de sa porte, il y a regardé, disent ses contemporains, tomber paisiblement le soir de sa vie. Sous ce bouquet de gros arbres courts, en parasol, il est venu asseoir ses songeries, ses amertumes et le souvenir de ses batailles. Ses regards fatigués s’y sont reposés du soleil de Junin et de Boyaca. Encore enveloppé de l’uniforme qu’il avait tant promené sur la terre des Andes, quand il poursuivait son impossible rêve de fraternité : toujours svelte, malgré les ans ; glabre et chauve, avec sa tête à la Moltke, il y a connu, résigné, les déboires de la vieillesse, l’ingratitude et l’effondrement de ses calculs. On raconte qu’assistant aux premiers déchiremens de cette Amérique nouvelle qu’il avait fondée, il eut un jour ce don de prophétie octroyé au génie, et que, prophétisant, il annonça à sa patrie un sort plus affreux que celui auquel il venait de l’arracher. Sans doute la mort vint pour lui comme une délivrance, — comme une ère posthume de réparation surtout, s’il est vrai qu’il laisse, dans l’impartiale histoire, le profil d’un vrai patriote et d’un grand homme.

Vraiment ce fut un coin de sable prédestiné qui vit tour à tour atterrir tant de galions rapaces et s’éteindre celui qui les rejeta à l’Océan. L’Espagne aborde ici, et d’ici elle étend sa serre sur sa proie ; au moment où elle croit la tenir, la proie enfante un vengeur, et c’est ici qu’à son tour ce redresseur de torts vient expirer en regrettant son œuvre !

Voilà qui ramènerait bien aisément, par la naturelle pente des idées, à maints épilogues sur cette guerre de l’Indépendance dont j’ai foulé, à Santa-Marta, l’un des principaux théâtres. Quel