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sorte de beauté farouche à ce débordement de l’instinct. Le fait est que les images polissonnes hantaient son cerveau, que le goût de la grivoiserie va chez lui grandissant avec l’âge et que la manie érotique est le trait permanent et foncier de son imagination. C’est un chapitre sur lequel il est difficile d’insister. Prenons pourtant une strophe, de celles qu’on peut transcrire :


Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu,
Elle sent bon ta chair perverse
Ou non, que fait ? Puisqu’elle berce
La mienne de chair, N. d. D.


Ces vers et des centaines d’autres traduisent moins la sensualité d’un Lucrèce que la gaudriole à la manière de Béranger ou l’indécence à la manière des pornographes de tous les temps. — Il est un autre trait de l’esprit de Verlaine auquel on n’a pas fait assez d’attention, et qui est essentiel pour qui veut trouver la véritable signification de son œuvre : c’est son humeur goguenarde. Le pauvre Lélian a une « humeur spécialement communicative et relativement toute ronde. » On le plaint pour son habituelle mélancolie ; mais lui : « Mon caractère au fond philosophe, ma constitution restée robuste en dépit de cruels et surtout des plus incommodes fins et commencemens de maladie, rhumatismes, bronchites, le cœur maintenant, m’ont amené jusqu’ici solide encore de corps et de tête. » C’est le cynique portant sa besace gaillardement, parce qu’elle est pleine de bons tours à bafouer les gens. Il a tantôt une malice sournoise, tantôt une verve de ruisseau, une drôlerie à la Vautrin. Il se moque, et de ceux-là d’abord qui le prennent au sérieux. Il cultive ce genre de plaisanterie qui n’a toute sa saveur et son plein succès qu’autant que la galerie en est dupe. C’est la blague. Elle est à la base de son esthétique. Elle modifie sensiblement la valeur et change la portée de quelques-uns des principes d’art qu’ont pieusement recueillis des adeptes dénués du sens de l’ironie. — Polissonnerie et gouaillerie, c’est le fond et le tréfonds du tempérament de ce poète.

Cela déjà nous renseigne amplement sur la qualité de son mysticisme. Ce qui achèverait de nous édifier, s’il en était besoin, c’est cette prétention émise avec assurance d’exploiter « parallèlement, » dans des recueils différens ou dans un même recueil, la veine pieuse et la veine sensuelle. « Le ton est le même dans les deux cas, grave et simple ici, là fioriture, languide, énervé, rieur et tout ; mais le même