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l’affiche. L’invention nouvelle de machines chromolithographiques allait permettre de tirer journellement 2 000 de ces estampes, auxquelles un encrage savant donne les transparences de l’aquarelle, tandis qu’avec les anciens outils, avec le coloris donné « au patron, » il fallait une journée pour obtenir peut-être douze exemplaires.

Aux Etats-Unis, terre classique de la réclame, toute une brigade de chromographes et de dessinateurs, — ceux-ci payés 2 000 francs par mois, — achèvent, dans l’imprimerie Morgan à Cincinnati, vingt-quatre grandes pierres chaque jour. Rien que pour des cirques, il y est composé annuellement 4 000 affiches, et, pour un seul exercice, le compte personnel de M. Barnum s’élevait à 200 000 francs. Mais les placards américains ont un caractère de sécheresse et de lourdeur.

Chéret, lui, a voulu mettre, dans cette chose basse et passagère, l’affiche, le même art que Clodiou avait mis dans des pommes de canne, Jean Goujon dans les marteaux de porte ou Cellini dans un hanap ciselé. Ingres recommandait à ses élèves la décision par ce précepte : un couvreur tombe du toit ; avant qu’il soit à terre, vous devez l’avoir posé sur le papier en quatre lignes ; le premier souci de Chéret est de trouver le geste, marche, ondulation, course ou vol de son modèle préféré, cette Parisienne, d’une longueur voulue, au sourire hiératique, déesse païenne qui s’enivre de son apothéose. Mais, si ce « maître de l’affiche » est vraiment original, c’est pour avoir réalisé l’harmonie des couleurs voyantes. Ce n’est pas sans un labeur persévérant qu’il est parvenu, par la juxtaposition de taches heurtées, aux nuances tendres, aux colorations assoupies.

Il s’applique à voir « le bouquet » dans ses esquisses, s’y exerce l’œil, mêlant son propre rêve à l’étude de la nature, demandant l’inspiration tantôt aux devantures des modistes, tantôt aux nacres irisées des coquillages, surtout aux ailes radieuses des papillons qui couvrent les murs de son atelier, piqués sur de vastes tableaux. D’abord Chéret fut presque le seul à dessiner îles affiches ; peu à peu surgirent des imitateurs et des émules : les frères Choubrac, Léandre, Toulouse-Lautrec et, au premier rang, A. Willette, auteur d’une lithographie exquise, l’Enfant prodigue. Puis on prétendit avoir l’affiche « de grand art » ; on la commanda à des maîtres mystiques et recueillis comme Puvis de Chavannes, à des peintres comme Rochegrosse qui livrèrent