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Ces vérités ont été entrevues même par des personnes qui, assurément, étaient peu qualifiées pour les juger, mais dont le témoignage n’en est que plus intéressant à recueillir. J’en donnerai un exemple dont je garantis l’authenticité. Un jour, sous l’ambassade du duc de Gramont, en 1861, je le trouvai dans son cabinet de fort belle humeur, ce qui était très naturel, car il venait d’y recevoir la visite de l’auteur des Trois Mousquetaires. Alexandre Dumas passait par Rome, venant de Sicile, et, l’ambassadeur lui ayant demandé, avec quelque hésitation, s’il désirait voir le Pape : « Non, lui répondit-il, je ne fais que traverser Rome, que j’aime beaucoup du reste, et je voudrais retourner à Paris le plus tôt possible. D’ailleurs, j’ai vu Grégoire XVI. » Et, comme M. de Gramont paraissait étonné de cette déclaration imprévue : « Voyez-vous, mon cher duc, lui dit son interlocuteur, tous les dix ans, en moyenne, les cardinaux se réunissent au Quirinal, brûlent tous les soirs des petits papiers mentionnant les votes du conclave, quand ils n’ont pu réunir la majorité, jusqu’au jour de l’élection, où ils nous disent qu’ils ont élu un nouveau Pape. Ils se trompent ; c’est toujours le même, car il ne change pas. »

Ce dernier mot, malgré son impertinence apparente, renfermait le plus bel éloge que l’on pût faire de la Papauté. Il explique et justifie son infaillibilité dogmatique, et je voudrais croire que son auteur fut assez chrétien pour en avoir compris toute la portée. Oui, le Pape ne change pas et l’on aura beau l’aire, il ne changera pas. On pourra le déplacer, le laisser mourir à Valence comme Pie VI, le transporter alternativement de Rome aux Tuileries, et des Tuileries à la prison de Savone, comme Pie VII, l’exiler à Gaëte ou le confiner au Vatican comme Pie IX ; attaqué par le despotisme, le caprice d’un César ou les fureurs de la Révolution, il ne changera pas plus que la religion et le dogme dont il est le représentant. Il pourra peut-être avoir un jour de faiblesse, comme homme, mais il est de race granitique, comme pontife, et le temps n’a pas de prise sur lui, car il aura toujours un successeur.

Quand l’étranger arrive à Rome et qu’il va faire sa visite à ces belles basiliques où l’on ne sait ce qu’on doit admirer davantage, de la pensée qui les inspira ou de l’art qui se chargea de les exécuter, on arrive à Saint-Paul hors les murs, et l’on voit, à côté les uns des autres, dans l’intérieur du temple, les