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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 janvier.


M. Balfour, dans le discours qu’il a prononcé devant la Chambre des Communes à l’occasion du triste événement qui a causé partout une si pénible émotion, disait que ceux-là mêmes qui, dans le monde entier, n’aimaient pas l’Angleterre, aimaient la reine Victoria, et qu’elle n’avait pas un seul ennemi. Rien n’est plus vrai. Que l’Angleterre ait ou non des ennemis, ce n’est pas le moment de le rechercher ; en tout cas, nous n’en sommes point ; mais on ne saurait nier que sa politique envahissante, sans ménagemens ni scrupules, n’ait froissé quelque fois dans l’âme humaine des sentimens très profonds. Il n’est jamais venu à l’idée de personne d’en rendre la reine Victoria directement responsable. A tort ou à raison, — et nous sommes convaincus que c’est à bon droit, car la conscience et le jugement universels ne sauraient s’être trompés pendant plus de soixante années consécutives, — on la considérait comme une femme d’un esprit juste, sensé, pondéré. On la croyait ennemie des partis extrêmes et encore plus des violences, sincèrement attachée à la paix, en même temps qu’elle était, dans la vie privée, le modèle de toutes les vertus. Sans doute, on pourrait citer, dans une existence et dans un règne si longs, quelques incidens qui dérangent un peu l’idée qu’on aime à se faire de la reine Victoria. La guerre du Transvaal est une ombre dans le tableau. Mais, pour être équitable, il faut prendre les choses dans leur ensemble, et ce n’est pas sur un détail, quelque grave et important qu’il soit, que l’on peut caractériser et juger un règne qui a dépassé les proportions ordinaires. L’histoire aura plus tard à démêler et à préciser dans quelle mesure la reine Victoria a contribué au prodigieux développement de la puissance britannique depuis plus d’un demi-siècle. Tout le mérite ne lui en revient pas : mais elle a eu celui de comprendre son