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subséquent, c’est la correction morale. Avant comme après, pour prévenir le crime, comme pour prévenir la récidive, il faut agir sur le caractère du méchant et modifier ce caractère : « Un imbécile peut punir les forfaits ; le véritable homme d’État sait les prévenir ; c’est sur la volonté encore plus que sur les actes qu’il étend son empire. » C’est l’Encyclopédie à l’article Économie politique, c’est-à-dire c’est Rousseau, qui parle ainsi ; et Diderot, de son côté, considère un caractère comme une passion dominante, accompagnée de passions subordonnées sur toutes lesquelles on peut agir par une sorte de suggestion ; et D’Alembert encore : « Les lois pénales sont des motifs [mobiles] que l’expérience nous montre comme capables de contenir ou d’anéantir les impulsions que les passions donnent aux volontés des hommes… La société punit les coupables, quand, après leur avoir présenté des motifs assez puissans pour agir sur des êtres raisonnables, elle voit que ces motifs n’ont pu vaincre les impulsions de leur nature dépravée. »

On trouvera peut-être que ces deux idées ne sont pas sans présenter, à les rapprocher l’une de l’autre, quelque contradiction. D’un côté, les Encyclopédistes croient fort peu à la liberté humaine et considèrent le coupable comme un simple impedimentum social qu’il s’agit de mettre hors d’état de nuire ; ils le traitent comme une chose. D’autre part, ils le considèrent essentiellement comme un être libre, qui peut s’amender, se corriger, se redresser, se relever, pour peu qu’on l’y aide ; ils le traitent essentiellement comme une personne. Ces deux idées ne sont pas si antinomiques quelles peuvent en avoir l’air. Pour l’Encyclopédiste, l’homme est un être infiniment malléable qui subit les impulsions de ses entours et les impulsions intérieures de son tempérament. C’est pour cela qu’on ne peut guère le considérer comme un être libre et le punir comme un être responsable ; mais c’est pour cela et d’autant plus qu’il faut agir sur lui par l’éducation et par l’avertissement sévère de la loi. Ce rôle de personne morale, juge du bien et du mal, que les Encyclopédistes nient à l’État en lui refusant le droit de punir, ils le lui rendent en l’investissant du rôle d’éducateur, de moniteur, d’avertisseur et de redresseur. Ils se détachent bien moins qu’on ne pourrait croire de l’antique conception de l’État. Dans la conception ancienne, l’État était comme un père de famille revêtu d’une autorité formidable, juge certain de la moralité des actes de ses en-