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nous ont livré les papiers de Condé, où nous trouvons, — et cela vaut mieux que ce qu’ont écrit ultérieurement, sous l’empire de préoccupations diverses et méprisables, Fauche-Borel et Montgaillard, — ce qu’ils écrivaient à l’heure même où la négociation dont ils étaient chargés suivait son cours. A étudier, dans ces pages contemporaines de l’événement, leur conduite et leurs allégations, on distingue plus aisément, entre leurs innombrables mensonges, ceux qu’ils forgeaient alors, pour tirer de leur entreprise un profit plus grand, de ceux qu’ils ont forgés après coup, Montgaillard, dans une intention de vénalité, Fauche-Borel pour se tailler un rôle à son gré. Il est sans intérêt de rechercher lequel des deux a le plus menti, lequel des deux a occupé la place la plus grande dans la confiance du prince de Condé et a tenu le principal rôle, qu’ils se disputent. Leurs contradictions ne sont bonnes à établir qu’autant qu’elles aident à les convaincre de fausseté. Pour le reste, elles ne sont que détails oiseux, puisque, après tout, le premier comme accusateur, le second comme défenseur, tendent au même but, c’est-à-dire à prouver que Pichegru a voulu livrer son pays aux Autrichiens et aux Anglais.

Au mois de mai 1795, le prince de Condé, qui venait de s’établir avec sa petite armée à la solde de l’Angleterre, parmi les troupes autrichiennes, à Mulheim-en-Brisgau, pour prendre part avec elles à la campagne contre la France, conçut le projet de sonder le général Pichegru et de l’intéresser au succès de la cause royale. L’idée d’acquérir à la monarchie le bras et l’épée d’un général républicain était déjà une des « turlutaines » favorites des émigrés. A l’heure même où le prince de Condé jetait les yeux sur Pichegru, un agent royaliste, Tessonnel, écrivait de Lyon où se préparait, sous la direction d’Imbert-Colomès, le soulèvement que dévoilèrent avant l’heure et firent avorter les imprudences du marquis de Bésignan : « Nous avons à nous un adjudant général dont nous sommes sûrs. Nous avons des espérances sur le général qui est à la tête de l’état-major et sur celui qui commande l’armée à la porte de Lyon… Ce qui est plus important encore, ce sont les fortes espérances que nous avons de gagner Kellermann, commandant en chef de l’année des Alpes. L’adjudant général qui est à notre dévotion nous en répond sur sa tête. »

On croit aussi pouvoir compter sur le général Ferrand, qui commande à Besançon, et qui n’hésite pas, lorsque la partie est perdue, à se faire honneur du prétendu refus qu’il a opposé aux