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réduit par le manque d’argent[1]. Cette communication, dont Montgaillard est aussitôt prévenu, « le jette dans la douleur. » Elle est inopportune ; elle n’était pas nécessaire. Il avait dit que Courant attendait des ordres pour aller trouver Pichegru, et le prince a livré tout le plan ! Il oublie que, quelques jours avant, lui-même a invité Condé à recourir à Wickham. « L’affaire est manquée et Pichegru perdu sous tous les rapports. Les deux agens anglais préviendront leur cabinet ; ils voudront diriger, ils entraveront ; et Pichegru, ne voyant pas Courant, aura des soupçons. » Et, toujours perfide, préparant déjà sa délation, il lance cette menace : « Il nous devient impossible aujourd’hui de répondre à Votre Altesse du secret, qu’exige cette affaire. Il n’est plus entre nos mains. Nous n’en sommes plus garans, par conséquent. Si Votre Altesse avait pu disposer des moyens d’exécution nécessaires au général Pichegru, Votre Altesse eût conduit en France le Roi et son armée. »

Les sentimens qu’il éprouve ou qu’il feint d’éprouver, il les fait partager à ses collaborateurs : Fauche-Borel, Courant, Fenouillot, le chevalier de Beaufort, « son ami d’enfance, » qu’il s’est adjoint comme secrétaire, et d’Olry, un diplomate bavarois mêlé, on ne sait trop comment, à l’affaire.

Ils décident unanimement de se retirer, de rentrer chez eux. Montgaillard demande au prince un passeport pour traverser les lignes autrichiennes. Ces résolutions épouvantent Condé ; il se demande ce que va devenir le secret, quand ceux qui le détiennent n’auront plus intérêt à le cacher. Il envoie à Bâle son fidèle Montesson pour prévenir une désertion dont les suites sont incalculables. A force de raisonnemens, de démonstrations, de supplications, Montesson parvient à dissiper l’orage. Les bons apôtres ne

  1. On verra, par la lettre de Condé à Wickham citée plus loin, que l’agent anglais avait été mis au courant dès le début de la négociation. Du reste, cet incident met en lumière un nouveau mensonge de Fauche-Borel. A la page 262 du tome Ier de ses Mémoires imprimés, il dit : « Le prince, dans sa détresse, crut devoir s’adresser à M. Wickham. » Or, à la page 255 du même volume, — et ceci est le comble de l’impudence, — il a écrit : « J’eus ordre aussi de dire à Pichegru que le prince de Condé avait quinze à seize cents mille livres comptant en caisse, cinq à six millions en effets dont on pouvait réaliser plus de moitié dans deux fois vingt-quatre heures, et que, si le général le désirait, on ferait déposer à Bâle une somme de cent mille écus en or, laquelle serait mise à sa disposition sur la première demande qui en serait faite. » A la fin d’août, on nage dans l’or ; le 15 septembre, la caisse est vide. N’est-il pas évident que Fauche-Borel a effrontément menti dans ce passage, qui n’est d’ailleurs que la reproduction textuelle du récit de Montgaillard ?