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coutumes indigènes ; » ce qui veut dire, la vie municipale ni la vie provinciale ne touchant à aucune de ces deux exceptions, qu’ils auront eu tout et sur tout le premier et le dernier mot.

Comprise de cette façon, l’autonomie locale semble aussi hypothétique ou aussi fallacieuse que l’autonomie législative. Il n’est pas besoin d’autant de phrases ni de périphrases pour décrire le régime dont, en définitive, jouiront les Philippins : ce régime ressemble très crûment, dans ses traits essentiels, à celui qui précéda l’insurrection. À part quelques modifications superficielles, le pouvoir, dans sa réalité, pour l’administration aussi bien que pour le gouvernement, restera aux mains d’étrangers. Pour ce qui est des mœurs administratives, la trop célèbre histoire de Tammany-Hall, d’autres encore plus nombreuses et moins connues, ne promettent pas a priori à l’Archipel que ces mœurs seront sensiblement plus pures dans l’avenir que par le passé. En ce qui concerne les droits individuels, nous reconnaîtrons volontiers que les Américains ont à cet égard des notions et des pratiques toutes différentes de celles des Espagnols ; mais comment, veut-on que les Philippins aient une foi complète dans les assurances de la Commission d’enquête ? Après s’être ouvertement servi d’Aguinaldo et de ses troupes pour l’aider dans ses opérations contre les Espagnols, l’amiral Dewey s’est vanté de ne l’avoir jamais « considéré comme un allié[1], » ce qui ne saurait passer pour un gage très précieux des sentimens égalitaires de la démocratie américaine. Et, quand on leur annonce qu’ils jouiront désormais paisiblement de leurs libertés personnelles et de leurs droits civils, on refuse aux Philippins, comme contraire à l’expérience américaine, ce qu’à tort ou à raison ils considéraient comme la sanction suprême de ces droits : la faculté de poursuivre les fonctionnaires sans autorisation préalable, la mise en jeu de la responsabilité parlementaire des ministres.

Croit-on que, parmi les Philippins instruits, — « beaucoup plus nombreux qu’on ne le suppose, » dit la Commission, et remarquables, non seulement par « l’élévation de leur intelligence et leurs connaissances, mais aussi par leur affinement social et par la grâce et le charme de leur caractère, » — croit-on que, parmi ceux-là, il ne s’en trouvera pas pour démontrer à

  1. Déposition de l’amiral devant la Commission d’enquête.