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comme elles-mêmes : rue de la Congrégation, rue du Rempart Saint-Just. Parfois, par l’entrebâillement d’une porte dérobée on voit, au bout d’un corridor fleuri, une de meure intime éclairée d’un rayon de soleil, et où passe, vaquant aux soins de l’intérieur, nue ménagère en tablier blanc.

Au flanc de la colline, à l’abri du rempart, le cimetière dévale vers la plaine ; par contraste, il est, lui, presque gai. D’ailleurs, c’est un cimetière jeune. La ville, autrefois, gardait ses morts serrés contre elle sous l’aile de ses cloîtres et sous la garde de son enceinte. Il a fallu la sécurité des temps modernes pour laisser les tombes s’échapper ainsi et dégringoler le long de la colline ; si bien qu’on dirait que les morts en profitent pour se donner du moins le spectacle de la vie. La proximité de la ville basse et le sifflet des locomotives qui soufflent et halètent tout près ne les troublent pas, et les distrairaient plutôt de la monotonie du vent, qui se plaint sans cesse dans le feuillage des pins et des cyprès.

On lirait ici, sur les dalles funéraires, toute l’histoire de la commune depuis un siècle : les noms des vieilles familles qui datent d’avant la révolution, familles de robe pour la plupart, et qui s’éteignent, l’une après l’autre ; ceux des magistrats municipaux qu’entourent, après leur mort, la vénération et la louange de leurs concitoyens. Voici un débris des guerres impériales : « E. Bauchart, chef de bataillon en retraite, chevalier de Saint-Louis, médaillé de Sainte-Hélène, officier de l’ordre impérial de la Légion d’honneur ». Près de ce brave, c’est le monument élevé à la mémoire des gardes mobiles tués à l’explosion de la citadelle, le 9 septembre 1870, et les tombes des soldats allemands : « Notre cher camarade le lieutenant en second Friedrich Dreger : Unser lieber camerad der second-lieutenant Friedrich Dreger ; et Amtsberg, porte-épée du 4e Jäger-Bataillon, etc., etc. Ils dorment côte à côte, les vainqueurs et les vaincus ; mais, hélas ! les Français sont bien plus nombreux.

Puis, le jardin se couvre de la foule des tombes quelconques, où reposent ceux qui ont vécu et sont morts sans gloire, se succédant, là-haut, dans la ville pareille à elle-même, et dormant ici, ignorés comme des vivans, les aïeuls et les pères, les enfans et les petits-enfans. Les croix de bois des pauvres s’inclinent de vétusté et se soutiennent l’une l’autre pour ne pas tomber ; beaucoup portent encore de guingois leur petit toit de fer rouillé