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Le Directoire l’avait reçue dès le commencement de mars et y avait répondu, le 15, par cette lettre qui ne laisse aucun doute sur le caractère spontané de la résolution de Pichegru :

« C’est à regret, citoyen général, que le Directoire exécutif se rend enfin aux demandes réitérées que vous lui avez faites de quitter l’armée de Rhin-et-Moselle. Il sait combien il lui sera difficile de vous remplacer. Mais, il sait aussi que vous avez besoin de-repos et il l’accorde, quoique avec peine, à vos instantes sollicitations. « Mais le repos d’un guerrier célèbre n’est point l’inaction, et, lorsque son bras est fatigué, sa tôle travaille et son cœur s’enflamme encore pour le salut de sa patrie. Le Directoire ne renonce donc pas à l’avantage d’employer vos talens, et il attend avec impatience l’occasion de vous donner de nouvelles marques des sentimens de confiance et d’estime que vous lui avez inspirés. — Carnot, Rewbell, Revellière-Lepeaux. »

Avant d’avoir reçu cette lettre, et dès le 5 mars, Pichegru, nous l’avons dit, avait rédigé des instructions pour le général Desaix, qui devait prendre le commandement de l’armée en attendant l’arrivée du général Moreau à qui ce commandement était dévolu. La longueur de ces instructions ne nous permet pas de leur donner place ici. Nous pouvons toutefois affirmer qu’elles témoignent irréfutablement de la sollicitude de Pichegru pour l’honneur, la gloire et le bien-être de cette armée qu’on l’accuse d’avoir voulu affaiblir et désorganiser, afin de l’offrir en pâture aux Autrichiens. Il n’est pas pour sa justification et la défense de sa mémoire d’argument plus puissant, ni plus décisif.

Maintenant, qu’il l’eût voulu ou non, sa carrière militaire était close ; une voie nouvelle s’ouvrait devant lui, et jusqu’à la journée du 18 fructidor, qui brisa son influence, il n’allait plus être qu’un politicien, le leader de l’opposition qui s’était formée contre le Directoire. Dans ce rôle pas plus que dans son rôle de soldat, et si vive que soit la guerre qu’il poursuit contre le gouvernement qu’il veut renverser, il n’est rien qui justifie une accusation de trahison, et force est de conclure que, pas plus à ce moment que pendant la campagne de 1795, il n’a commis le crime abominable que lui imputèrent ses ennemis politiques et qui a déshonoré son nom.


ERNEST DAUDET.