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l’âme de la France qui anime ces cent employés aux manches de lustrine, revêches derrière leurs cartons, du moins c’est par sa volonté qu’ils sont et c’est son énergie qu’ils emploient. Oui, l’existence et l’entretien de ces fonctionnaires a cette portée. Aussi bien, la vieille ville n’est pas loin de compter, dans ses titres d’honneur, la résidence de ces cent bourgeois, d’apparence si modeste et si effacée, à l’égal de sa vénérable histoire et de sa cathédrale hautaine.


La résidence du préfet vaut, d’ailleurs, à la ville une autre satisfaction non moins appréciable en notre siècle délibératif, celle de se sentir une capitale parlementaire ; car, c’est dans ses murs que se tiennent, deux fois par an, les sessions du Conseil général du département. Trente-sept conseillers, élus au suffrage universel par leurs concitoyens de chacun des trente-sept cantons du département, se réunissent à Laon, la seconde semaine qui suit Pâques et le second mardi du mois d’août, pour délibérer sur les intérêts communs. Alors, la ville s’anime ; les hôtels de la Bannière, de la Hure et de l’Ecu sont dans un perpétuel mouvement. Les trente-sept conseillers généraux avec leurs familles, leurs secrétaires, leurs amis politiques, les remplissent. Les solliciteurs affluent. Les rues sont envahies par des gens à la fois dépaysés et pressés. Des fiacres montent et descendent la colline. Les portes des hôtels bourgeois s’entrouvrent pour livrer passage au garçon pâtissier dont la rare apparition annonce et symbolise le repas annuel important.

Dans l’état actuel des choses, le Conseil général est composé ainsi qu’il suit : dix industriels, huit cultivateurs, — que l’on nomme maintenant, pour les honorer, agriculteurs, — sept rentiers, trois médecins, trois avocats, un ancien notaire, un ancien avoué, un ancien magistrat, un publiciste, un entrepreneur et un architecte. Pas de commerçans, pas de militaires, et pas d’ouvriers. Cette composition répond, comme on le voit, à la conception du gouvernement par la bourgeoisie, qui a été celle du XIXe siècle en France. Cependant, un signe très caractéristique a distingué la seconde partie du siècle de la première, c’est la prédominance, dans le Conseil départemental, des industriels et des cultivateurs sur les hommes de robe et sur la bourgeoisie urbaine. En ce sens, on peut dire que le département de l’Aisne, agricole et industriel, est, ici, véritablement représenté.