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ajourné inutilement lu paix. Le blocus devait la retarder encore. La démission du cabinet Delyannis, conséquence nécessaire de la situation, laissa les choses en suspens : M. Tricoupis refusa d’accepter le pouvoir dans les conditions présentes, et le ministère de transition formé alors dut attendre plus de trois semaines que l’effervescence populaire fût un peu atténuée pour préparer le dénoûment accepté, un mois auparavant, sous nos auspices.

L’événement nous avait déçus, mais le succès moral de la France demeurait indéniable. Il ne dépendait de personne de l’effacer. Quoique des publicistes malveillans aient osé insinuer que nous avions fait aux Grecs des promesses aventurées, — assertion fallacieuse que nul ne prit au sérieux et qui fut aussitôt démentie loyalement par M. Delyannis, — nous n’avions invoqué auprès d’eux que la raison et l’amitié, et nous avions reçu, sans menace et sans escadre, le consentement qu’on se préparait à leur imposer. L’inéluctable triomphe du blocus ne diminuait pas le nôtre, et, à coup sûr, il ne le valait pas : le véritable objet de la diplomatie n’est pas en effet d’en appeler à la loi du plus fort, mais de persuader sans contraindre. Tel avait été notre but et nous l’avions atteint. Cette campagne faisait le plus grand honneur à notre gouvernement, et si l’incident qui l’avait troublée contrariait sans doute nos espérances, il n’altérait pas le caractère de notre entreprise et de la résignation anticipée des Hellènes.

Nous étions satisfaits, en outre, que la France fût ainsi restée fidèle à ce rôle de protectrice de la Grèce qui est un legs de son histoire et une tradition qui lui est chère. Lorsque, peu de jours après ces péripéties, appelé à Paris pour conférer avec M. de Freycinet, je traversai les lignes du blocus, je fus heureux de ne pas voir notre pavillon devant ces rivages illustres. L’opinion publique s’était d’ailleurs prononcée chez nous : elle approuvait tous nos actes au cours de cette crise, et notre altitude indépendante fut appréciée par les divers partis avec une sympathie et une fierté unanimes. Il convient d’ajouter qu’en ce qui concerne le concert européen, si nous avions différé d’opinion sur les voies et moyens, nous avions poursuivi, d’accord avec lui, l’objet qu’il s’était proposé, le maintien de la paix. Il était de plus si évident qu’au lendemain de l’adhésion de la Grèce à nos conseils, nous ne devions point participer à des mesures coercitives que notre abstention ne pouvait étonner les