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Et derrière le banal entretien, on entend gronder l’orage : car les mêmes regrets hantent ces deux cœurs, le même besoin de recommencer la vie. Antoinette est aussi malheureuse que Paul, en sens inverse : tandis qu’Hella exaspère son mari par ses prétentions, sa pédanterie, son activité vaniteuse et sotte, Laskowski, bon homme d’ailleurs, irrite sa femme par son épaisseur, sa vulgarité, sa bêtise. Il l’appelle Mäuschen, petite souris.. Il ne dit pas un mot, qui ne la blesse, et dont Paul n’écoute et ne suive les vibrations. Ils se regardent, ils se comprennent, ils pensent ensemble à ce qui aurait pu être. Et Laskowski vide des verres de porto, jusqu’au moment où un de ces petits artifices qu’il faut pardonner aux auteurs nous délivre de sa personne. Tante Claire, complice naïve de ces regrets superflus, s’esquive derrière lui. Antoinette et Paul restent seuls… Un instant encore, la comédie continue :

— N’avez-vous pas froid, chère madame ? Je vais ajouter du bois.

— Ce n’est pas nécessaire, je suis habituée au froid…

Mais ils ont autre chose à se dire que des banalités : le passé revient, les reprend. Antoinette est dure, pleine de rancunes : elle a souffert de l’abandon, elle a demandé à Dieu de punir le perfide qui emportait son cœur comme un petit rien qu’on peut perdre en route. Elle s’est mariée par dépit, elle est malheureuse, mais Paul l’est aussi, elle a voulu le voir, elle l’a vu :

— Et vous êtes contente, à présent ?

— Oui !

Là encore, les mots voilent la pensée : l’ancien amour a survécu sous la haine, et l’aveu en jaillit…

À ce drame intime, qui se dessine avec une saisissante intensité, le troisième acte mèle un tableau de mœurs un peu long, celui des ripailles qui suivent l’enterrement. Hella a refusé d’y assister, parce qu’elle trouve l’usage absurde, et aussi par rancune persistante contre le mort. Paul est donc seul à recevoir ses hôtes, dont les Laskowski. On babille. On se met à table. L’organiste Kunze prononce quelques bonnes paroles en l’honneur du défunt. On mange, on boit ; on boit surtout. Laskowski, très vite gris, s’attendrit sur sa mort future, tout à fait insupportable.

Quand c’est enfin terminé, quand les convives sont partis en titubant, Antoinette et Paul tombent dans les bras l’un de l’autre : ils s’aiment ; ils s’appartiendront, malgré tout :