Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
REVUE DES DEUX MONDES.

arrêt de mort. Elle comprit, et, quelques jours après, on brûlait clandestinement, sur un bûcher vulgaire, le corps de la fille royale. Elle s’était laissée mourir de faim, selon les rites. Quant au jeune bonze, il ne fut pas fait pour lui tant de cérémonies. Dénoncé par la fidèle suivante, qui parla pour éviter la torture, il fut pris et eut la tête tranchée. Son corps fut jeté aux vautours.

Après cette digression, revenons à la pagode du Bouddha en émeraude que nous avons admirée déjà plus haut. Tout au sommet d’un des phnoms est la bibliothèque. Les livres sacrés et secrets, tenus en grand honneur dans toutes les pagodes, sont disposés au Vat-Phrakéo, dans une forme moderne bien faite pour surprendre, et reliés à la façon des petits volumes de nos bibliothèques. Puis, dans le chœur même de la pagode, à côté de merveilles, d’objets somptueux et d’ex-voto magnifiques, au milieu des plus luxueuses splendeurs, se voient, comme toujours en Orient, des objets du dernier ordre et du plus mauvais goût. À côté des riches bouddhas d’or, d’émeraude ou de jade, d’ivoire ou de bois de santal, finement travaillés, des arbres d’or et des arbres d’argent, grand joujoux pour nous, mais emblèmes de vassalité et riches présens des Malais et des Laotiens, se montrent, répandus à tous les étages du temple, les fleurs sous globe, les menus bouquets artificiels qui ornent les autels en compagnie de chandeliers de verre et d’accessoires de la boutique à cinq sous. Ces misérables objets nous choquent toujours, et avec raison, parce qu’ils sont ridicules. Et cependant, un peu de réflexion devrait nous faire penser à l’effet que notre amour du bibelot serait souvent capable de produire sur les Orientaux. Ne nous arrive-t-il pas de collectionner des objets quelconques, d’un usage quelquefois ignoré de leurs acquéreurs, tels les crachoirs qui figurent à terre dans toutes les pagodes et un peu partout ? Nous les utilisons en belle place, en manière de jardinière ou de porte-bouquets, avec bien d’autres objets vulgaires recommandés seulement par leur rareté ; et leur lointaine provenance, et certes ils seraient à leur tour la risée de leurs anciens propriétaires.

Parmi les sculptures qui décorent les nefs et les péristyles et surtout les cours intérieures des pagodes, un grand nombre n’ont aucun caractère religieux ; le Bouddhisme est essentiellement libéral et les bonzes tolèrent maintes effigies étrangères.